Aller au contenu

Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Songeais-tu que ce cœur dans la haine affermi,
S’éloignerait sitôt de ton céleste ami ?
Ô foule ingrate et vile, ô race sans mémoire,
Les démons de l’Enfer à peine l’ont pu croire,
Quand, le voyant couvert d’opprobre et châtié,
Furieuse, tu dis : — Qu’il soit crucifié !
Mort au Nazaréen ! Que par delà la tombe
Sur nous et nos enfants son sang maudit retombe ! —
Et ton souhait farouche, emporté par le vent,
S’élança pour jamais aux pieds du Dieu vivant !

Devant ce Dieu, par qui ton arrêt se décide,
Ta parole fut vraie, ô peuple déicide !
Marqué comme Caïn d’un stigmate éternel,
Comme le sable, en proie aux tempêtes du ciel,
Dans l’espace et le temps, de rivage en rivage,
Tu fuiras, entraîné par un torrent d’orage ;
Et sur tous tes chemins, dans tes nuits et tes jours,
Ce sang que tu maudis t’inondera toujours !
Tu le verras pleuvoir sans trêve et sans mesure,
Comme un jaillissement d’une large blessure ;
Comme un râle arraché par le fer meurtrier,
Des bouts de l’univers tu l’entendras crier ;
Le sol s’indignera de conserver ta trace,
Et l’homme avec horreur détournera sa face !

Et toi, qui te lavant les mains, crus à jamais
T’être purifié du sang que tu livrais,
Va ! tu te plongerais, ivre de ta démence,
Dans la flamme infernale ou dans la mer immense,