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Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/211

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Mais, d’instants en instants, pareil aux sombres flots,
L’espace s’obscurcit et roule des sanglots ;
Sous le vol des Démons l’air sinistre tressaille ;
Et le Sauveur frémit dans son âme, et défaille ;
Et, comme dans la nuit des Oliviers, son cœur
S’emplit d’une invincible et suprême terreur.

Ô Jésus ! c’est assez d outrage et de souffrance !
Si tu ne veux punir, songe à ton innocence !
Seigneur, il en est temps encor ! Méritons-nous
Tes douleurs et ta mort ? Ô cieux, ébranlez-vous !
Foudre de l’Éternel, que ta colère éclate !
Fais écrouler ce mont sur cette foule ingrate ;
Epargne, ô Fils de l’homme, à ce peuple insensé
Un forfait qui jamais ne sera surpassé ;
Ne laisse pas crier dans la mémoire humaine
Ce hideux souvenir de folie et de haine !
La race de Jacob, au cœur avare et dur,
N’a-t-elle donc versé des torrents de sang pur
Que pour rougir encor, fatales aux prophètes,
Ses mains, contre Dieu même, au meurtre toujours prêtes ?
En faveur d’Abraham, d’Isaac, d’Israël,
Ô Christ, détourne-la de ce crime éternel !

Tu l’eusses fait sans doute, ô Source de la grâce,
Ô seul Ami de l’homme en ce monde où tout passe !
Mais, dans son équité, même au prix de ta mort,
Le Très-Haut de ce peuple avait prévu le sort.