Aller au contenu

Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il désespère, et pousse à travers l’infini
Un cri terrible : Eli, lamma sabacthani !

Ô désespoir du Christ ! ô divine épouvante !
Quoi ! la seule Vertu, la Vérité vivante,
Jésus ! l’Agneau sans tache et le Verbe incréé,
Comme un fils de la femme a donc désespéré ?
Oh ! qui peut concevoir, quelle humaine parole
Dira ton sens sublime, adorable symbole !
La chair souffrant en Dieu, sans force et sans appui,
Et Dieu contenant l’homme et gémissant sur lui !
Mais nul ne soutiendra ces torrents de lumière,
Seigneur ! Nous t’adorons, courbés dans la poussière !
L’heure approche, et l’angoisse a fait place à l’amour.
Il s’attendrit, pardonne et sauve tour à tour.
Le bon larron, touché de l’auguste souffrance,
Rouvre son cœur, longtemps aride, à l’espérance,
Et se tourne en priant vers les cieux reconquis.
— Voici ta mère, Jean ! Mère, voici ton fils !
Pleurez, mes bien-aimés, toute larme est féconde !
Mais espérez toujours : j’ai racheté le monde ! —

Et maintenant, la tâche est faite, il faut mourir.
Et, vers la neuvième heure, avec un long soupir,
Le Rédempteur baissa la tête et rendit l’âme !
Et le ciel s’empourpra d’une sanglante flamme ;
On entendit des cris et des plaintes sans nom ;
Un grand vent accourut des bords de l’horizon,
Et, semblables aux mâts sur les flots blancs d’écume,
Courba les monts lointains oscillant dans la brume ;