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Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/269

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deux termes corrélatifs. Si la faculté intuitive est prédominante chez le poète, il ne perçoit, ne compare et ne juge qu’avec plus de promptitude et d’intensité. L’antithèse et l’ellipse donnent à l’expression de sa pensée une profondeur concise qui trouble les intelligences peu averties ; il ne leur manque guère, pour être équitables, que de bien connaître le génie de la langue qu’elles entendent parler.

Il faut réduire à ce qu’elle vaut cette prétention comique, propre aux Français, de penser et d’exiger qu’on pense. Le bon sens national, ce fonds inaliénable, contient une certaine somme de notions stéréotypées dont le nombre s’accroît en raison inverse d’une déperdition de sagacité. Nous sommes de ceux qui étudieraient volontiers le soleil, en plein midi, à la lueur d’une lanterne. Descartes et Malebranche, Kant et Schelling, ces penseurs abstraits, sont-ils mieux compris et goûtés que les grands poètes ? Si nous avouons sans peine notre inaptitude à saisir les vérités métaphysiques, comment se fait-il que personne n’hésite à juger sans appel l’œuvre poétique, infiniment plus spéciale encore ? On répond : Les grandes pensées viennent du cœur, la vraie poésie est un cri du cœur, le génie réside tout entier dans l’émotion cordiale ressentie et communiquée. Soit, mais la difficulté subsiste, puisque cette émotion s’exprime dans la langue sacrée qui ne vous est ni sympathique ni familière.

Les sentiments tendres, les délicatesses même subtiles, acquièrent en passant par une âme forte une expression souveraine, parce qu’elle est plus juste. C’est pour