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Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/274

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vigoureuse de l’image. Ce sont là des vertus d’art souvent refusées au poète ; mais celles qui lui sont propres et qui ne lui font jamais défaut, l’élévation, la candeur généreuse, la dignité de soi-même et le dévouement religieux à l’art, suffisent à l’immortalité de son nom. Entre le grand prêtre qui sacrifie au maître-autel et l’orateur sacré dont l’éloquence véhémente alterne avec les plaintes majestueuses de l’orgue, il y a place, au fond du chœur réservé, pour la voix solitaire qui chante l’hymne mystique.

Le recueil des Poèmes antiques et modernes et celui des Destinées forment l’œuvre spécial d’Alfred de Vigny. En lui, le romancier, le moraliste et l’écrivain dramatique n’ont guère été que les échos affaiblis du poète, plus rapprochés de la foule, très remarquables sans doute, mais que je n’ai point à examiner. Moïse, Éloa, le Déluge, la Colère de Samson, la Mort du Loup, sont d’un ordre incontestablement supérieur à la prose du maître, quelque belle et sympathique qu’elle soit, non qu’il n’y ait ici peut-être une plus grande liberté d’allure, mais parce que la langue rhythmée, bien que moins assurée, appelle un sentiment plus exquis des choses et s’en empreint forcément. Le poème de Moïse, écrit en 1822, est un précurseur admirable déjà de la Renaissance moderne, par la largeur de la composition autant que par l’abandon complet des formes surannées.

C’est une étude de l’âme dans une situation donnée, il faut l’avouer, plutôt qu’une page vraie, intuitivement reconstruite, de l’époque légendaire à laquelle appartient la figure de Moïse ; mais nous sommes encore, sur ce