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Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/275

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point, en présence de deux théories esthétiques opposées, entre lesquelles, pour cause personnelle, il ne m’appartient pas de décider ici. L’une veut que le poète n’emprunte à l’histoire ou à la légende que des cadres plus intéressants en eux-mêmes, où il développera les passions et les espérances de son temps. C’est ce que fait Victor Hugo dans la Légende des Siècles. L’autre, au contraire, exige que le créateur se transporte tout entier à l’époque choisie et y revive exclusivement. À ce dernier point de vue, rien ne rappelle dans le Moise du poète le chef sacerdotal et autocratique de six cent mille nomades féroces errant dans le désert de Sinaï, convaincu de la sainteté de sa mission et de la légitimité des implacables châtiments qu’il inflige. La mélancolie du prophète et son attendrissement sur lui-même ne rappellent pas l’homme qui fait égorger en un seul jour vingt-quatre mille Israélites par la tribu de Lévi. La création du poète est donc toute moderne sous un nom historique ou légendaire, et, par suite, elle est factice ; mais elle est humaine aussi, puisque rien n’est humain qui n’appartienne au dix-neuvième siècle, disent les personnes autorisées en matière de critique. Peu importe, après tout, si les vers sont beaux, et ils sont parfois magnifiques.

La gloire d’Alfred de Vigny est communément attachée au poème d’Éloa. On sait l’histoire mystique conçue par le poète. Éloa est une Ange née d’une larme du Christ. Les confidences mystérieuses et inachevées qui lui sont faites sur la chute et l’exil éternel du plus puissant des Archanges l’émeuvent d’une immense pitié. Elle va chercher, au fond des sphères inférieures, Celui