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Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/276

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qui souffre et qu’elle veut consoler, et qui l’entraîne dans l’abîme. Cette conception est très indécise ; l’exécution en est d’une élégance un peu molle et onctueuse. Éloa rappelle de trop près certaines vignettes britanniques, et Satan joue, dans cette aventure céleste, un des rôles familiers à Don Juan. Une sorte de vapeur rose et lactée enveloppe, du premier vers au dernier, les péripéties gracieuses du poème, car la grâce perpétuelle est partout ; elle s’exhale de l’idée primitive, se répand sur le Tentateur lui-même, et ne l’abandonne point quand il se révèle tout entier à sa victime. Il était indispensable cependant de donner à cette conception flottante une armature de vigueur et de passion contenues. L’esprit se noie dans l’adorable monotonie de ces vers, charmants sans doute, mais d’un charme un peu fade. Ici l’extrême bienveillance et l’exquise politesse de l’homme ont nui au poète. Moïse est de beaucoup supérieur à Éloa.

On retrouve dans le Déluge la plupart des nobles qualités de ce premier poème et quelques-unes des faiblesses du second. Il ne faut pas relire Caïn et Ciel et Terre après les mystères bibliques d’Alfred de Vigny. La profondeur, l’éloquence, la passion, des élans lyriques d’une beauté suprême éclatent à chaque page du poète anglais, tandis qu’une incurable élégance énerve bien souvent les créations du poète français ; car il est visible que la timidité de l’expression ne rend pas, très fréquemment, la virilité de la pensée. On sent que l’artiste n’est point le maître despotique de son instrument. C’est la même main cependant qui avait écrit la Dryade et Symétha, deux idylles qui, par la facture savante du vers et par la composition