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Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/301

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proches adressés à celles où l’émotion intellectuelle l’emportait sur l’impression cordiale. Rien de plus inévitable ; car, si nous admettons volontiers en France, pour articles de foi, et sans trop nous inquiéter de ce qu’ils signifient, certains apophtegmes, décisifs en raison même de leur banalité, tels que : la poésie est un cri du cœur, le génie réside tout entier dans le cœur ; nous oublions plus volontiers encore que l’usage professionnel et immodéré des larmes offense la pudeur des sentiments les plus sacrés. Mais Victor Hugo est un génie mâle qui n’a jamais sacrifié la dignité de l’art à la sensiblerie du vulgaire. L’émotion qu’il nous donne pénètre l’âme et ne l’énerve pas. Pour mieux nous en convaincre, les Châtiments, les Contemplations, la Légende des siècles nous vinrent du fond de l’exil.

Les Châtiments, Messieurs, sont et resteront une œuvre extraordinaire où la colère, l’attendrissement, l’indignation, l’élégie et l’épopée se déroulent avec une éloquence inouïe ; où l’accumulation incessamment variée des images, le luxe des formules, donnent à l’invective une force multipliée et au poème de l’Expiation, en particulier, un souffle terrible. Ni les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné, ni les Iambes de Chénier et de Barbier n’ont atteint une telle énergie. Le livre des Contemplations, d’autre part, grave, spirituel, philosophique, rêveur, d’une inspiration complexe, mêle les voix sans nombre de la nature aux douleurs et aux joies humaines ; car, si Victor Hugo sait faire vibrer toutes les cordes de l’âme, il sait, par surcroît, voir et entendre, ce qui est plus rare qu’on ne pense. Aussi, le grand Poète saisit-il d’un œil