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Page:Lemonnier - Adam et Ève, 1899.pdf/101

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en gardions une part pour nos réserves d’hiver.

Or, une fois j’étais parti dans la bruyère avec mon fusil et j’abattis un coq sauvage. La poule s’envola avec un cri qui déchira l’air. Je rapportai donc cette bête à Ève, et presque chaque jour après celui-là, je m’en allai avec le chien tuer des bêtes innocentes dans le bois. J’étais pourtant le même homme qui avec des mains pures jura d’épargner les êtres. Mais l’orgueil farouche était sorti de l’humble vie comme le fruit pourpre sort du vert bourgeon. Ève avec son rire vermeil, seulement m’avait dit : « Si, comme tu me l’assures, tu désires me plaire, tu iras avec ton fusil dans la forêt. Mes dents sont friandes d’une jeune chair après en avoir été sevrées si longtemps. » Et moi j’avais pris mon fusil, j’étais parti pour la forêt. Les pulpes fraîches, les fruits juteux perdirent alors leur saveur : nous déchirâmes à la pointe des dents les filandres qui avaient été la vie mystérieuse de la terre. Nous faisions là comme si le bienfait des bêtes n’avait pas été donné à l’homme pour un