Aller au contenu

Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lerminia moyennant quelques francs. Finaud comme il l’était, il s’était arrogé par-dessus le marché un coffre en chêne rempli des hardes de la maman Huriaux. Jacques tenait à ces nippes : il parla de rompre le marché ; mais Clarinette lui ayant persuadé que la défroque était mangée des vers, il abandonna son idée, un peu consolé par le haut prix qu’elle se vantait d’avoir obtenu. Elle lui mentait d’ailleurs à propos de tout, inventait des chiffres, l’abusait constamment sur la dépense du ménage ; et, comme il avait pleine confiance dans sa droiture, il la croyait sur parole.

Malchair la poussait maintenant à l’achat d’un mobilier de chambre à coucher ; mais le prix qu’il lui demandait l’effrayait, elle n’osait pas se risquer. Alors il l’amignarda : une petite dame comme elle ne devait pas regarder de si près à la dépense. Puis Huriaux gagnait de fameuses journées ; et d’ailleurs, quoi ! on était des amis, on s’arrangerait. De chacune de ses visites à La Confiance, elle rentrait énervée, avec l’obsession du grand lit aux matelas douillets comme des couettes et du lavabo garni de sa plaque de zinc, un joli meuble que Malchair prétendait lui céder au-dessous de sa valeur. Pleine de mépris pour le châlit mal raboté sur lequel ils dormaient, elle se rongeait du tourment de cette possession toujours différée.

Le marchand du Culot était d’ailleurs une vraie providence pour elle : de mois en mois elle le réglait par acomptes, et il était toujours content, se refusait même à lui délivrer une facture. On avait bien le temps ; ça ne pressait pas, il n’y avait rien à craindre avec des pratiques comme elle. Cette rondeur la flattait : elle y répondait par une acceptation bête de sa fausse bonne foi, ne marchandait pas, la plupart du temps même achetait à l’aveuglette, sans connaître les prix. Elle avait fini par s’approvisionner chez lui non seulement de toutes les denrées du ménage, mais encore d’un tas de friandises qui amusaient sa gourmandise naturelle et ne déplaisaient pas à Huriaux, chatouillé dans ses penchants d’homme à gros appétit. Tous les jours elle posait sur la table, après le repas, de la galette, du pain d’épices, des noix sèches, une gaieté de dessert qui abrégeait les soirs ; et pendant le temps qu’elle était seule, elle grignotait, en outre, des sucres, d’une bouche épaisse qu’elle rin-