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Page:Lemonnier - Noëls flamands, 1887.djvu/319

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son adresse, avec le timbre de Paris. Elle me dit plus tard que, dès l’instant qu’elle eut reconnu l’écriture, elle ressentit un fort battement de cœur, comme si elle se fût attendue à quelque chose d’extraordinaire. Elle rentra avec la lettre et l’ouvrit, en me disant, d’une voix basse, presque effarée :

— C’est Clotilde qui m’écrit.

Je sais assurément la figure qu’elle avait pendant qu’elle lisait, toute droite dans le petit jour gris de la fenêtre, pour y voir plus clair, car le brouillard était très épais dans la rue, et la chambre, sous la clarté brouillée des vitres, nageait dans une demi-obscurité. Oui, je le sais puisque j’étais moi-même près du feu, mes pieds dans la chancelière, la suivant de mon regard curieux. Ses mains tremblèrent d’abord en faisant sauter le cachet ; puis, à mesure que se prolongeait sa lecture, elle devint pâle, sa bouche se pinça, elle finit par froncer fortement le sourcil.

Je me demandai alors quelle pouvait bien être cette Clotilde et pourquoi la lettre impressionnait si vivement ma tante. À force de chercher en moi-même, il me revint à l’esprit que Clotilde était le nom de la sœur de madame Dubois. Ce nom quelquefois avait été prononcé dans les causeries du mercredi, mais avec une sorte de retenue, et seulement quand madame Dubois n’était pas là.

Ma tante jeta brusquement la lettre sur la table, croisa les bras et s’écria, les yeux perdus devant elle :

— Eh bien ! il ne me manquait plus que ça !

Elle reprit la lettre et de nouveau se planta devant la fenêtre ; mais elle ne la relut pas sans avoir braqué ses lunettes sur son nez, ses tirebouchons gris agités de petites secousses ; et ses lèvres remuaient rapidement, car, cette fois, — je n’eus pas de peine à m’en aperce-