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Page:Leo - L Ideal au village.pdf/189

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autre chose, car je n’ai pas le temps de tenir la poêle tout le jour. Si vous vouliez de la viande, il y en aurait ; mais ça ne peut pas vous aller, puisque vous avez l’idée qu’il faut traiter les bêtes en chrétiens ; vous pouvez vous vanter de n’avoir pas le sens commun, allez ! »

Sans paraître prêter aucune attention au langage insolent de cette femme, bien qu’intérieurement il fût ému de colère, Louis posa lui-même une assiette sur le coin d’une table et mangea des mets plus que simples qu’elle lui offrait. Il fallait que la constitution de cet homme fût nativement bien robuste pour qu’il eût résisté, comme il l’avait fait depuis tant d’années, à une énorme dépense d’énergie morale et intellectuelle, n’étant soutenu que par une aussi chétive nourriture.

Il avait le dos un peu voûté ; mais c’était habitude d’affaissement plutôt que faiblesse. Quand, après le repas, il prit machinalement son carnier, qui ne contenait plus que des livres, et son fusil aux batteries rouillées, et qu’il se redressa en jetant sur Gothon un écrasant regard, la vieille mégère fut troublée.

« Ce que c’est, se dit-elle, comme l’amour vous remet un homme ! celui-ci n’est pas si maté qu’il en avait l’air. On dirait qu’il m’en veut. Hélas ! dire qu’on arrive à la fin de l’âge pour être méprisée des enfants qu’on a vus naître ! Si monsieur était juste, il m’épouserait ; car il y en a assez de mon travail dans tout notre bien, et j’aurais comme ça plus d’autorité sur cette jeunesse. Mais si ma nièce est ingrate, elle me connaîtra… »