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Page:Leo - L Ideal au village.pdf/19

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de sa sœur. Elle avait appris par cœur la liste des échecs subis par les maîtres et la lui répétait. Elle oubliait tout pour lui et voulait l’emmener à Rome. Il refusa cependant et ressaisit ses pinceaux. Mais fréquemment le découragement le reprenait ; il laissait là sa toile ou changeait d’idée ; il travaillait mal.

Lucien avait juré de ne plus s’exposer aux refus et de travailler seulement en vue de ce public d’élite que rêve tout artiste. Mais, dans sa misanthropie toujours croissante, comme il avait à peu près rompu avec le cercle d’artistes qu’il fréquentait d’abord, son atelier restait inconnu aux amateurs. Incapable d’user de charlatanisme et de réclames, il se desséchait dans la solitude.

Une nouvelle année s’écoula dans ces douloureuses intermittences, à la fin de laquelle Cécile, chargée seule de la comptabilité du ménage, constata que, l’écart entre le chiffre des dépenses et celui des recettes devenant chaque jour plus large, ils allaient avec une rapidité merveilleuse à une ruine complète.

Elle différa quelque temps d’en prévenir son frère, de peur d’ébranler le calme relatif dont il jouissait ; mais elle savait peu feindre, et Lucien, qui volontiers s’en remettait à elle du soin de varier et d’animer l’entretien, remarqua bientôt que sa sœur avait moins d’entrain qu’à l’ordinaire. « Elle s’ennuie et regrette le monde, » pensa-t-il, et il voulut la conduire au concert et au spectacle. Sur le refus de Cécile, une explication eut lieu, et dès lors ils s’occupèrent à méditer tristement ce problème finan-