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Page:Leo - L Ideal au village.pdf/265

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fusera jamais de pardonner quelque chose à la faiblesse d’une femme ? Et puis, enfin, il allait être heureux ! cette charmante fille lui serait donnée ; car Deschamps n’aurait plus de motif pour refuser son consentement ; et Lucien s’applaudissait de l’habilité de sa conduite : il avait su louvoyer à travers tous les obstacles ; il n’avait point essuyé de refus, grâce à sa prudence, et il s’était débarrassé promptement d’une rivalité fâcheuse, bien qu’imaginaire.

Des Grolles jusqu’à Loubans il vécut en rêve dans son paradis. Quelle joie il éprouverait de former lui-même l’esprit déjà si fin et si délié de sa charmante femme ! de l’initier à tout ce qu’elle ignorait ! de la voir se développer et s’accomplir sous l’influence de l’amour, par ses propres soins ! Pour être ce qu’on appelle une femme distinguée, certes, il lui fallait peu de chose ; mais ce peu de chose, il n’eût voulu pour rien au monde quelle le possédât, et ne pouvait comprendre qu’on ne préférât pas à toute autre une femme ignorante.

Enfin, il touchait au seuil de la maison du docteur. Neuf heures du matin sonnaient à peine ; il était sûr de trouver Rose seule, et le cœur lui battait de joie, quand il recula, comme sous un choc, en voyant en face de lui ce malencontreux, cet importun, ce petit sot de Marius !

Le collégien se tenait si droit et si raide qu’il semblait avoir grandi.

« Je vous attendais, monsieur ! dit-il à son cousin d’un accent tragique. J’avais deviné que vous ne pouviez manquer de venir ici ce matin. Si je ne suis pas allé chez vous ces deux jours, c’est que votre