Aller au contenu

Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne tombât comme nous dans un guet-apens, nous allâmes au-devant de lui. Il faisait déjà nuit noire et nous suivions des sentiers tellement étroits qu'on avait grand'peine à avancer. Afin de raccourcir la colonne, on marchait tellement serrés que chacun touchait celui qui le précédait. Enfui, nous rencontrâmes le renfort qui avait pris un chemin différent du nôtre. On décida de rebrousser chemin et d'attendre des ordres de l'amiral Courrejolles. Dans cette journée, nous avons parcouru 40 kilomètres au minimum, dont une vingtaine au pas gymnastique ; et cela dans des champs cultivés, des rizières inondées et des marais. Pour mon compte j'avais tiré cent quarante cartouches ; aussi eus-je l'épaule droite enflée pendant plusieurs jours.

Quelques jours après, l'amiral vint nous inspecter, accompagné du capitaine de vaisseau Philibert, le même qui plus tard devait jouer un rôle au Maroc comme amiral. Il nous adressa des félicitations qui nous touchèrent vivement ; puis il embrassa notre capitaine et lui dit qu'il le proposerait d'office pour la Légion d'honneur. Ce fut une joie pour nous, car outre que le capitaine Maitret était très bienveillant, nous l'avions considéré comme notre sauveur dans la journée du 9. Il y fut, je le répète, admirable de courage et de calme. Son éternelle cigarette aux lèvres, il s'est tenu, pendant toute la durée de l'action, aux endroits les plus exposés, donnant ses ordres avec le plus grand sang-froid.

Un missionnaire français qui résidait depuis vingt ans dans le pays et qui était bien au courant de tout ce qui s'y passait, nous renseigna sur la troupe qui nous attaquait, car nous étions bien convaincus que nous avions affaire à l'armée régulière. — Chaque compagnie, nous disait-il, se compose de deux cent cinquante hommes et possède trente drapeaux, moitié rouges et moitié blancs. Vous étiez en face de huit compagnies, c'est-à-dire de deux mille hommes environ avec plusieurs canons.