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Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/170

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Après la visite de l'amiral, le capitaine nous réunit pour nous dire encore que la journée du 9 était une des plus brillantes de l'histoire militaire coloniale. —Je suis fier, disait-il, de vous commander. Avec des soldats comme vous, le drapeau tricolore est en bonnes mains et on va gaiement partout, même au-devant de la mort.

Le poste de Pé-Sé, que nous occupions depuis peu de temps, était le plus avancé des postes français et nous n'y avions qu'une faible compagnie. Il fallut veiller jour et nuit. Le jour, tout le monde travaillait pour entourer le poste d'un fort parapet précédé d'un fossé de 3 mètres de large ; les hommes fatigués montaient la garde. Nos cases, des plus sommaires, furent construites à la hâte ; les murs en torchis et la toiture en paille ne nous garantissaient pas de la pluie. Nous n'avions qu'un matelas pour trois ; les hommes fatigués seuls s'en servaient ; quant aux autres, ils se contentaient du lit de camp ou couchaient par terre sur une couverture. La nourriture était exclusivement maigre et désespérément insuffisante, car on ne trouvait toujours rien à acheter. Les officiers partageaient notre sort ; personne ne sortait du camp dans la journée, car l'ennemi n'était qu'à 2 kilomètres du poste et nous guettait ; nous étions littéralement prisonniers. Les nuits étaient particulièrement pénibles. Pour assurer à peu près la sécurité du poste, il avait fallu placer un grand nombre de sentinelles à plusieurs centaines de mètres en dehors, de façon à donner l'alerte en cas d'attaque. Il en résultait une fatigue au-dessus de nos forces, car tout le monde, excepté les malades, montait la garde toutes les nuits. En tenant compte des nombreuses patrouilles que les sentinelles quittant leur poste étaient encore obligées de faire, il nous restait à peine deux heures de repos par nuit. Le ciel étant généralement très sombre, il fallait ouvrir l'œil et tendre les oreilles. Pour tout dire, nous n'étions pas à la noce, et cependant personne ne témoignait de mauvaise humeur. Au contraire, on riait, on plaisantait ; les