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Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/276

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Le 20 mai, nous fimes une reconnaissance de nuit digne d'être rappelée en raison de l'effort qui fut fourni. Elle avait pour but de poursuivre une forte bande, montée et bien armée. Le départ eut lieu à neuf heures du soir, sous une pluie qui dura jusqu'au lendemain matin, et dans une obscurité complète. Après avoir marché toute la nuit sans une minute d'arrêt, tant il est vrai que la perspective d'un engagement surexcite les forces, nous arrivâmes à six heures du matin dans un village où nous trouvâmes les cadavres encore chauds de deux Chinois allongés sur le chemin.

Le capitaine fit interroger par son interprète un habitant qui s'obstinait dans un mutisme complet. Il employa alors les grands moyens et eut recours au châtiment corporel de règle. Mais toujours pas de réponse. Il songea alors à lui promettre des taëls s'il voulait se décider à parler. Cette fois, le procédé eut un succès immédiat. Je n'en fus pas autrement surpris, sachant que le Chinois, comme l'Arabe, tuerait son plus proche parent pour de l'argent. Sa langue s'étant donc déliée, notre homme raconta que la bande s'était arrêtée pendant vingt-quatre heures, après avoir pillé et dévasté plusieurs villages. Mais, ayant été prévenue de notre mouvement par ses émissaires, elle s'était enfuie dans une direction qu'il ignorait. Les cadavres étaient ceux du chef, un véritable colosse, et de son fils, tués par leurs propres hommes pour avoir mal partagé le butin. En fuyant, cette bande avait laissé dans le village deux chameaux chargés d'alcool, de riz, un mulet chargé de vermicelle et un cheval. Nous nous emparâmes de ces approvisionnements et, en ramenant notre prisonnier, nous rebroussâmes chemin pour regagner le poste.

Quelques jours plus tard, nous eûmes l'humiliation de voir déserter un homme de la compagnie. On peut dire toutefois à la décharge de ce malheureux, parti sans armes, qu'il dut être atteint de folie subite