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Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/316

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enfin, cette morgue d'un tas de parvenus ne nous empêchait pas d'être fixés sur le compte de la plupart d'entre eux.

Fonctionnaires pour la plupart, ils mènent en Cochinchine une vie bizarre et font exactement le contraire de ce que les médecins recommandent dans un pays tropical et malsain. Ainsi, écrit le docteur J. Navarre, « l'Européen qui veut opposer à l'agression du soleil tropical tous ses moyens de résistance organique, doit se faire une loi de l'abstinence absolue de l'alcool. » On pourrait en citer bien d'autres. « L'usage de l'alcool sous les tropiques est un empêchement formel à l'acclimatation, » dit Büchner. Le docteur Treille indique que « l'alcool, même à petites doses, a une influence considérable sur l'affaissement physique et moral des colons, notamment sur les troubles intellectuels si fréquents dans les pays chauds. » Kermorgant dit que « les seules boissons sûres sont les infusions de thé et d'eucalyptus qui, prises chaudes, désaltèrent très bien. Elles sont bien supérieures à l'eau glacée dont on fait un si grand abus dans les colonies, au détriment de l'intestin qui réagit sous forme de diarrhée. »

De ces sages recommandations, la majorité de la population européenne cochinchinoise se moque comme de sa première chemise. Il faut voir dès cinq heures du soir ces messieurs installés dans les nombreux cafés de Saïgon, et sirotant des liqueurs multicolores dans des verres énormes remplis de glace jusqu'au bord. Il faut les entendre crier : « Boy ! de la glace, encore de la glace ! » Ils sont d'autant plus inexcusables que ce sont des hommes instruits et parfaitement renseignés sur l'hygiène nécessaire dans un pays tropical. Aussi à chaque paquebot parlant pour l'Europe voyait-on s'embarquer des malades qui n'étaient que l'ombre d'eux-mêmes ; d'ailleurs, à l'hôpital de Saïgon, le bâtiment réservé aux civils était toujours au grand complet. Mais tout cela ne servait pas de leçon, car journellement