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Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/317

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j'étais témoin des mêmes abus et des mêmes imprudences.

La principale profession de la population indigène saïgonnaise est celle de domestique. L'Annamite est d'une nature extrêmement paresseuse ; il n'apprend pas de métier manuel ; et, comme tout Européen, même le plus petit employé, ne croit pas pouvoir se passer d'un boy, lequel s'entoure lui-même de plusieurs sous-boys, il en résulte qu'à Saigon la domesticité indigène pullule. Ces boys font semblant de servir leur maître avec dévouement et fidélité ; mais qu'on commette l'imprudence de laisser une somme d'argent à la portée du boy, celui-ci ne manque presque jamais de l'empocher et de filer, non pas à l'anglaise, mais à l'annamite, c'est-à-dire qu'on a beau mettre la police en mouvement, les recherches n'aboutissent jamais. Rares sont les Européens qui n'ont pas été victimes de ces vols. Malgré cela, ils ne prennent aucune précaution. J'en connaissais plusieurs qui vantaient la fidélité et le dévouement de leurs boys, et qui se sont fait cambrioler à fond par ces serviteurs exemplaires. En cas de flagrant délit, il faut bien se garder de se permettre une vivacité quelconque à l'égard du voleur. Celui-ci vous réplique aussitôt : « Moi aller troubinal. » Il le fait comme il le dit et le juge français ne manque jamais de vous saler impitoyablement. L'humanitarisme triomphe et l'indigène se moque de nous.

D'autre part, je suis absolument convaincu que l'Annamite hait l'Européen. Connaissant la langue du pays, je me suis plusieurs fois, dans l'intérieur de la Cochinchine, livré à des expériences qui ne m'ont laissé aucun doute. A Baria, où nous construisions un poste, j'allais assez souvent en forêt pour couper des arbres qu'on débitait pour les travaux. J'avais avec moi des tirailleurs annamites qui m'ont donné plus d'une preuve de leur haine envers nous. Un jour que je me sentais fatigué, je m'allongeai sur l'herbe et je fermai les yeux. Les tirailleurs, me croyant endormi,