Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/46

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une légère discussion avec un camarade que j’aimais cependant et qui est mort un an plus tard au Dahomey entre mes bras. Je lui avais lancé un mot… le même que Cambronne à Waterloo, lorsque entouré par une masse ennemie il était sommé de se rendre. Le lieutenant Odry survint et m’entendit. — Tu vas de ce pas te rendre à la salle de police, me dit-il (à la Légion beaucoup d’officiers tutoient leurs hommes, mais qu’on n’aille pas y voir de la morgue ou du dédain ; loin de là, c’est le tutoiement amical comme celui du père de famille, qui conseille, guide, caresse et gronde selon les circonstances, mais toujours dans les meilleures intentions). J’ai obéi sans murmurer, ignorant même pourquoi j’étais puni. Une heure après, comme j’étais allongé sur le lit de camp, le lieutenant Odry entra seul et me parla sur un ton sévère : — Qui t’apprend ce vocabulaire ? — Je ne répliquai pas. — Tu vas me promettre de ne jamais plus prononcer ni ce mot, ni d’autres du même genre, tu m’entends ? — Oui, mon lieutenant, je vous le promets. — C’est bien, sors d’ici, et tâche surtout de ne jamais y revenir. — J’étais engagé, mais je songeais au proverbe latin : « Omnis homo mendax » (tout homme est menteur). Pourtant, j’ai tenu parole, et pendant toute la durée de mon service à la Légion, je n’ai jamais encouru de punition. Au retour des manœuvres, mon bataillon changea de poste. Nous allâmes à Tiaret, treize étapes de Géryville. Le seul souvenir que j’aie conservé de cette marche est que nos havresacs étaient d’un poids excessif. La gamelle, attachée sur les ballots, dépassait de beaucoup la tête. Bien des fois, les officiers portèrent les sacs des hommes fatigués. Il pleuvait presque tous les jours ; à défaut de route, on marchait souvent dans les champs d’alfa. Le pis, c’est qu’on se méprit plusieurs fois sur les étapes. Les pluies ayant détrempé les emplacements des cuisines, quelques gîtes étaient devenus méconnaissables. Plusieurs fois, l’orage nous empêcha de préparer les repas. Ces jours-là, on se contentait d’un