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Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/81

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des muscles) se rencontre également ; il atteint principalement les indigènes, mais plusieurs Européens ont succombé aussi à cette maladie qui ne pardonne pas.

C'est pendant ce séjour à Cotonou que j'ai failli, à côté du wharf, servir de pâture aux requins. Ce coin de l'Océan est rempli de ces animaux voraces. Et j'y ai assisté plusieurs fois à des morts d'hommes sans que personne ait pu tenter un sauvetage, car la mer y est constamment agitée et forme des barres terribles. Les indigènes chargés d'embarquer les tonneaux contenant l'huile de palme sur les navires (qui ne peuvent approcher qu'à 3 000 mètres au moins de la côte), les transportent sur des jonques jusqu'au bateau. Ils sont obligés de traverser ces barres dangereuses. A une centaine de mètres, devant chacune d'elles, ils s'arrêtent pour laisser passer la lame. C'est pour eux l'instant le plus dangereux — et pour le spectateur un moment d'anxiété — car il arrive assez souvent que la lame soulève la jonque verticalement et la secoue violemment dans tous les sens. Les hommes qui s'y trouvent sont pris de vertige et tombent à la mer. Mais au contact de l'eau, ils reprennent connaissance ; étant excellents nageurs, ils se dirigent vers la terre tout en se débattant contre la violence des vagues. C'est alors que survient le requin qui les guette et qui ne lâche jamais sa proie ; on le voit sauter de la mer, en exécutant une double culbute, parfois à une hauteur de 3 à 4 mètres, pour fondre directement sur sa victime qu'il entraîne au fond de l'eau. Malgré tous les salamalecs du chef fétichiste qui, sur la grève, ayant en main une queue de cheval qu'il agite dans la direction des requins, cherche à éloigner ceux-ci à force de prières, de génuflexions et de cris, les nègres sont enlevés un à un par ces redoutables animaux sans que personne puisse tenter de leur porter secours.

Un jour donc, j'accompagnais en barque un lieutenant qui se rendait jusqu'au bout du wharf, endroit où l'on embarque pour se rendre à bord des paquebots.