Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/216

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qui la précipite sur le papier, et je suis stupéfait en me relisant, le lendemain, dans le journal, de voir que la vérité m’a échappé, à mon insu, de toutes parts. Cette vérité, je ne me contente pas de la dire, je tâche de la prouver. J’expose loyalement les raisons de mes adversaires ; je donne aussi les miennes, et je les donne avec une abondance, avec une insistance qui paraissent souvent fatigantes aux beaux esprits. Ma passion serait de démontrer l’évidence ; je reprends dix fois, s’il le faut, un développement, et ne m’arrête que lorsque je sens qu’il me sera impossible d’être plus clair et plus convaincant. Je le fais dans une langue de conversation courante dont vous souriez. Souriez, mon cher confrère, cela m’est égal. Je n’ai point de prétention au style, ou, pour mieux dire, je n’en ai qu’une. Boileau disait en parlant de lui : « Et mon vers, bien ou mal, dit toujours quelque chose. » Eh bien ! moi, ma phrase, bien ou mal, dit toujours quelque chose. Vous m’avez invité à faire mon examen de conscience ; vous voyez que je vous obéis. Oui, j’ai, dans le cours de ces trente années, commis quelques sottises et laissé échapper beaucoup d’erreurs. Je me suis souvent trompé ; ceux-là seuls ne se trompent jamais qui n’ont pas le courage d’avoir un avis, et je suis toujours du mien, ce qui n’est peut-être pas un mérite si commun. Mais il ne m’en a jamais coûté de reconnaître une méprise, et j’ai toujours réparé de mon mieux les torts que j’avais pu avoir. Il y a tel artiste qui n’a dû l’ardeur avec laquelle je l’ai poussé qu’à un mot malheureux qui m’était échappé, dans un feuilleton, et dont j’avais trop tard mesuré l’injustice. Et voilà pourquoi le peuple de Paris, ce peuple que vous revendiquez pour vous, que vous appelez, comme nos anciens rois, mon bon peuple de Paris, voilà pourquoi il témoigne d’une certaine confiance dans l’honnêteté et la justesse de mes appréciations, voilà pourquoi il veut bien m’accorder, dans la critique de théâtre, une certaine autorité. Rassurez-vous, mon cher confrère. Cette autorité, je n’en userai pas pour vous barrer le passage, pour obstruer, comme vous dites. Aussi bien serait-ce peine inutile. Le public n’est pas si idiot que vous dites, et il sait bien aller, sans moi et