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Page:Leroux - Balaoo, 1912.djvu/86

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BALAOO

Il y avait une bougie sur la table. La lueur de cette bougie n’allait pas jusqu’à l’alcôve, mais la flamme de l’âtre éclairait par instants le visage redoutable de la vieille Barbe qui surgissait de l’ombre avec un relief effrayant. L’éclat diabolique de ce regard de sorcière était insoutenable, et, du reste, on n’ignorait pas dans le pays que ce regard faisait baisser la tête à Hubert lui-même. Ah ! la gueule de la Barbe ! Une face de masque antique avec des creux et des bosses qui remuaient sans cesse ; de la chair morte en mouvement autour de la seule dent qui restât debout sur l’antre de sa bouche. On n’avait jamais vu la Barbe coiffée autrement que des mèches en désordre de ses cheveux tout blancs, secs comme du chanvre, qu’elle ramenait, sans s’arrêter jamais, d’un geste inconscient, derrière l’oreille où ils ne restaient point, car elle ne cessait de branler la tête et s’agitait sur sa couche, qu’elle ne quittait jamais, plus vive que Zoé. Seulement les jambes ne la portaient plus. Elle avait toujours un bâton près d’elle, qu’elle lançait sur sa progéniture à toute volée, quand ça lui disait. Et les garçons lui rapportaient le bâton docilement. Zoé ne l’aimait guère, car elle lui administrait des coups plus souvent qu’à son tour ; mais Hubert et les albinos la respectaient parce qu’elle leur racontait des histoires de bagne (où le père avait été) dont ils ne se lassaient point.

Quand Patrice mit l’œil à sa lunette improvisée, il aperçut tout de suite la vieille penchée sur la chaussette que lui tendait Zoé. Il reconnut le surjet. Les deux têtes de Barbe et de Zoé se rapprochèrent encore… puis il y eut un silence pendant lequel les albinos, qui observaient attentivement la scène de l’alcôve, avaient cessé leurs bruits de mâchoires… ; puis Zoé demanda s’il fallait appro-