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Page:Leroux - Les Étranges Noces de Rouletabille, 1918.djvu/20

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LES ÉTRANGES NOCES

vos tentes, vos mules et tous vos impedimenta que j’ai trouvés en passant à la Karakoulé, Enfin, vous allez avoir des bêtes fraîches…

— Vous pensez à tout, monsieur !…

— C’est un type épatant ! proclama Vladimir.

Ils rebroussèrent chemin et atteignirent avant la nuit la crête des monts à l’Ouest. Avant de descendre dans la vallée, les reporters purent apercevoir l’armée bulgare et même l’entendre, car elle chantait.

Qu’elle était belle, cette journée du 21 octobre 1913 où les soldats du général Radko Dimitrief pénétraient enfin en Turquie sur un front de plus de vingt kilomètres, dans un pays qui n’était connu que des muletiers et des bergers ! où les colonnes de la cinquième division, ne sentant même pas la fatigue d’un pareil effort, sans s’accorder une heure de repos, continuaient leur route en chantant, vers les champs de bataille d’Estri-Polos, Pitra, Kara-Kof, glorieuses étapes avant le coup de foudre : Kirk-Kilissé ! Cette armée, fait mémorable en ce siècle de chemin de fer, de téléphone, et de télégraphie sans fil, on n’en avait même pas soupçonné la présence ! Elle avançait, se sentant pleine de force et de mystère. On la croyait vers la Maritza, à l’Est !… Et de cime en cime, cependant, c’était encore la chanson de la « Maritza », rivière où se mêlèrent pendant des siècles le sang des Bulgares et des Osmanlis que les bataillons se renvoyaient ! Alors, cette chanson-là n’avait pas encore été chantée par des traîtres à leur race et à leur destin :