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Page:Leroux - Rouletabille chez Krupp, 1944.djvu/69

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L’EMBUSQUAGE

Candeur ne croyait pas à sa propre bravoure !… Aussi, le combat qui se livrait dans le cœur de son vaste ami et dont Rouletabille démêlait fort bien les péripéties intimes, l’attendrissait réellement. Il savait que l’amitié sortirait victorieuse de la lutte… et la victoire était déjà acquise… Rouletabille n’en pouvait qu’apprécier davantage le dévouement de La Candeur…

La fin du repas fut calme, d’autant plus calme que La Candeur ne mangeait plus, ne buvait plus !… De temps en temps, sur un ton grave, il demandait des détails sur l’existence qui est faite aux poilus dans la tranchée, sur les dangers qu’ils courent, sur l’intensité du marmitage, et aussi sur la science des cuistots.

Rouletabille lui répondait posément, inlassablement.

Cependant, quand le moment fut venu de se lever de table, il dit à son ami :

« Ça t’intéresse donc bien la vie que l’on mène dans les tranchées, La Candeur ?

— Comment ! si ça m’intéresse ?… Mais n’est-il pas entendu que je vais désormais mener cette vie-là avec toi ?

— Avec moi ?… mais je ne retourne pas dans la tranchée, moi !

— Et où allons-nous donc ?

— Mon cher La Candeur, nous allons entrer tous deux dans une fabrique de machines à coudre !…

— Une fabrique de machines à coudre !… »

Ils étaient arrivés sur le trottoir, devant la magnifique auto d’état-major. La Candeur, planté devant Rouletabille, restait là, la bouche ouverte, marquant le plus complet ahurissement…

« Eh bien ! quoi, La Candeur ? ça ne te va pas d’entrer dans une fabrique de machines à coudre ?

— Si ! si… ! diable !… mais je me demande bien pourquoi, par exemple ?… »

Rouletabille se pencha à l’oreille du géant…

« Il parait que l’État a un très grand besoin, en ce moment, de machines à coudre !