Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/101

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letabille, qui avait toutes les délicatesses, ne l’eût invité, lui et son camarade Cornouilles…

— Ça va ! dit Cornouilles, sans plus…

Quant à la Finette, il eût volontiers embrassé Rouletabille.

— Attention ! Qu’allez-vous faire des prisonniers ? demanda tout de suite le reporter.

— Eh ! mon pétite ! Jé les attachérai à ma botté, mais ils ne sé sauveront point, jé té lé joure !…

Les deux gendarmes étaient déjà descendus de cheval… Ils attachèrent leur monture à un anneau dans le mur, à côté de la mangeoire… S’étant assurés que leurs bêtes ne manquaient de rien, ils s’occupèrent des prisonniers. Sur l’invite du patron, ils finirent par les enfermer dans une sorte de réduit en maçonnerie où l’on garait le bois. La porte en fermait solidement. Certes ! les deux bohémiens n’avaient, dans le court espace de temps qu’ils allaient se trouver là, aucune chance de s’échapper…

Du reste, on leur laissait leurs menottes même pour manger le très frugal déjeuner que Cornouilles avait apporté dans un sac… Enfin, la porte du réduit donnait juste devant la petite salle fraîche où Rouletabille faisait déjà dresser le couvert. Ils étaient là à la portée de la main et à la portée des yeux…

— Moun Dieu ! vous avez vu la testa qu’ils ont faite quand ils vous ont aperçou ?… dit la Finette en pénétrant dans l’auberge.

— Oui ! je ne suis point leur ami ! Que dites-vous de ce magnifique saucisson, d’une omelette, d’un lapin au sang, d’une bonne salade et d’une bouteille de vin du pays ?

— Une bouteille ? s’écrièrent d’une seule voix la Finette et Cornouilles… que voulez-vous que nous fassions d’une bouteille !

— Eh bien, nous en mettrons deux, mais pas une de plus, mon vieux la Finette !… Je ne tiens pas à ce que vous soyez « bus », moi ! Sachez une chose, la Finette, c’est que les trois quarts des évasions n’auraient jamais réussi si l’on n’avait préalablement grisé les gardiens !…

— Préalablemente !… Vous avez peut-être raison, jeune homme ! acquiesça le brigadier d’un air assez mélancolique… Préalablemente !… Nous nous contenterons donc de deux bouteilles !…

— Mais il y aura le café et un petit verre de grappa !

— Ouné pétite verre ! s’écrièrent encore à l’unisson les deux représentants de la force publique…

— Mettons-en deux… et n’en parlons plus !… Et maintenant, à table !

— Qu’allez-vous faire dehors ? questionna le brigadier en voyant Rouletabille se diriger vers le bûcher où l’on avait enfermé les deux bohémiens.

— Je vais m’assurer que nos oiseaux ne peuvent pas s’envoler !

— Il n’y a pas de fenêtre ! et j’ai la clef dans ma poche !… lui cria le brigadier en éclatant de rire.

Mais désireux sans doute de se rendre compte de tout par lui-même, Rouletabille prit la clanche en main et secoua fortement la porte.

— C’est bon ! fit-il, nous pouvons être tout à fait tranquilles…

À ce moment, la première bouteille arrivait sur la table.

— À propos de gardiens « trop bus », fit-il en s’asseyant, il faut que je vous raconte une histoire…