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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/100

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tous respectueusement… Aussi bien, ce garçon-là avec sa peau ambrée et sa moustache de violoniste hongrois devait avoir du sang de la race dans les veines…

En quelques mots, il leur fit entendre qu’il était avec eux et que son dessein, ou plutôt sa mission, était de délivrer Andréa et sa compagne… Aussitôt les yeux brillèrent… Tous ceux qui étaient là connaissaient Andréa. Quant à la femme, ils ne la connaissaient pas, mais il n’y avait point de doute qu’elle fût leur sœur, leur shaia… Le jeune homme leur expliqua « qu’il se chargeait des gendarmes », mais qu’eux devraient se charger d’Andréa et de Callista… dès qu’il les aurait débarrassés de leurs gardiens… Il était venu en auto, par un chemin détourné, sachant que le cortège passerait par Salon… Il les conduisit jusqu’au bois des châtaigniers et, là, leur montra la petite torpédo qui l’avait amené. « C’est ici que vous amènerez les prisonniers aussitôt qu’ils seront libres… »

Quand tout ceci fut bien entendu, il leur dit : « Et maintenant, allez… courez ! ne lâchez plus le cortège, tout en vous dissimulant, car, autant que possible, il ne faut pas qu’on vous voie !…

— Mais, toi ?

— Moi, vous me retrouverez ici !… Ne vous occupez plus de moi !…

Ils partirent tous en s’égaillant avec une vélocité extrême, et leurs pieds nus sur la terre ne faisaient pas plus de bruit qu’une volée de moineaux qui rase les hautes herbes…

À l’orée du village, la Finette se retourna sur sa selle. Il avait entendu derrière lui le bruit d’une bicyclette et, tout à coup, il lâcha son fameux : quès aco ? qui fit se retourner toute la bande.

— Oh ! fit la Finette… ma parolé… c’est Roulétabillé lui-même !…

— Tu l’as dit, bouffi ! lui jeta le reporter en sautant de bicyclette… Ouf ! il fait chaud sur les routes de Provence !… J’ai cru que je ne vous rattraperais jamais !…

Nous n’avons pas oublié que la Finette et Rouletabille étaient devenus une paire d’amis depuis leur expédition au plan des roseaux…

— En voilà oune dé surprise ! s’exclama la Finette… et qui nous vaut l’honour ?…

— J’ai appris ce matin la tentative d’évasion de nos prisonniers et l’ordre de transfert… Je me suis dit : « Ces gaillards-là sont capables de tout !… avec ça malins comme des singes ! Ils pourraient bien jouer un mauvais tour à mon vieil ami la Finette !

— Ah ! par esimple ! s’écria la Finette, rouge d’indignation… vous mé prénez pour oune pétité enfant !… Jamais lou Finetto ! Vous né connaissez pas lou Finetto ! monsieur Roulétabillé !… Si vous connaissiez lou Finetto !…

— Calmez-vous, la Finette !… J’ai la plus grande confiance en vous !… et la vérité, c’est que j’ai affaire moi aussi à Aix !… Alors, j’ai pensé que nous pourrions voyager de compagnie ! la Finette ! Tu n’as pas soif, la Finette ?…

Il faut dire que la Finette avait, comme on dit là-bas, le nez en forme de grappe… Or, on arrivait devant un petit restaurant fort renommé dans la contrée et où, les dimanches et fêtes, ceux de Salon venaient faire ripaille et jouer aux boules… C’était bon, là-dedans, mais c’était cher, pour certaines bourses, et jamais la Finette n’eût pensé à s’arrêter là pour déjeuner si Rou-