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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/103

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Martin une véritable fleur de bagne : cinq garnements bien connus dans tous les établissements pénitentiaires : Cochot, qui répondait au directeur : « Vous me demandez si, lors de mes crimes, je ne suis jamais arrêté par la crainte du châtiment ; sûr que si je n’avais été arrêté que pour cela, vous n’auriez pas l’honneur de m’avoir à Saint-Martin-de-Ré ! »… Petit qui, repris à Abbeville, prévint le maire de cette gracieuse cité que le lendemain il quitterait la prison parce qu’elle ne lui semblait pas une habitation convenable… ce qu’il fit, du reste, ponctuellement… Piercy, qui s’était évadé une fois d’une maison centrale en se confectionnant, en papier, un habit de gardien et en s’en revêtant sous les yeux de ceux qui étaient chargés de le conduire, lui et ses camarades, au préau ; Fanfan, qui était la terreur des gardiens de prison (il s’était échappé sept fois) et qui n’avait qu’à dire tout haut : « Le pied me démange ! » pour mettre tout un établissement pénitentiaire en révolution… Arigonde, qui avait le génie du travestissement… Fregoli, à côté de lui, n’était qu’un enfant. Mettez Arigonde en face d’un clown, par exemple, il aura fait ses cheveux, ses favoris, défiguré les signes particuliers qui peuvent le faire reconnaître et mis son costume quel qu’il soit, avant même que le mime de profession ait seulement ôté sa cravate… J’ai beaucoup connu Arigonde…

— Il a été journaliste ? demanda Cornouilles.

— Non, mais employé d’une agence de police qui eut le tort de ne pas assez payer ses talents !… Enfin, il y avait Chéri-Bibi, le plus célèbre de tous.

» Dès que celui-ci sut qu’ils étaient là tous les cinq, il résolut de jouer cette terrible farce à l’administration de les faire évader en bloc.

» Chéri-Bibi avait toujours des accointances avec l’extérieur. Tel jour, à telle heure, une chaloupe attendait les forçats dans un recoin malheureusement assez éloigné de la « côte sauvage » d’où il leur serait facile de gagner le continent. Aux environs de la citadelle, pendant la nuit, une cache, comme ils disent, avait été creusée, dans laquelle on avait introduit des vêtements de marins, chapeaux de cuir et suroîts, dont les évadés devaient se revêtir, une fois sortis du dépôt, pour gagner l’endroit où se trouvait la chaloupe. L’évasion ne pouvait avoir lieu qu’en plein jour… Elle eut lieu à huit heures et quart du matin, heure à laquelle des maçons venaient travailler à un mur d’une des cours du dépôt !…

— Tiens ! mais c’est le coup qu’on avait préparé pour nos lascars !…

— Rien de nouveau sous le soleil ! continua Rouletabille imperturbable… Comment Chéri-Bibi et ses cinq compagnons combinèrent-ils leur affaire ? Toujours est-il qu’une équipe de cinq ouvriers maçons qui avaient pénétré dans le dépôt à huit heures en ressortaient à huit heures et quart.

» Les bandits savaient que leur fugue risquait d’être découverte quelques minutes plus tard… aussi avaient-ils hâte de descendre dans la cache et d’aller attendre là les événements pour ne sortir qu’à bon escient et revêtus de leurs suroîts… Malheureusement, devant la cache, il y avait les deux gendarmes, les deux fins matois de gendarmes dont je vous ai parlé tout à l’heure !… Les la Finette et Cornouilles, de l’île de Ré !… Or, ces deux gendarmes virent bientôt venir vers eux, sur la route, un homme à la tête enveloppée d’un mou-