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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/106

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levant où la route se déroulait devant eux également déserte, c’est-à-dire vide des prisonniers que l’on avait confiés à leur garde.

Alors ils se hissèrent jusque sur le talus et se mirent à gémir comme des enfants qui ont perdu leur mère… Les chevaux ! ils les retrouveraient toujours bien ! mais les prisonniers !…

— Roulétabillé est peut-être sur leurs traces ! soupira Cornouilles…

— Nous n’en sommes pas moinsses déshonorés !… répliqua d’une voix brisée le pauvre la Finette.

Dans le même moment, tout le groupe haletant des bohémiens qui entourait Andréa et Callista délivrés de leurs menottes, débouchait dans le petit chemin en contrebas derrière le bois de châtaigniers où l’auto attendait avec son chauffeur à la peau ambrée et à la moustache de violoniste hongrois… qui se tenait déjà au volant prêt à partir…

— C’est cet homme qui est venu nous chercher et qui a tout arrangé, expliquait le chef de la bande à Andréa… Tu peux avoir confiance en lui, il a le signe !…

Il n’y eut pas d’autres explications ; Andréa et Callista sautèrent dans l’auto et celle-ci démarra le plus vite qu’elle put. Il y avait de forts cahots ; Callista et Andréa se heurtaient. Celui-ci finit par garder la jeune femme sur sa poitrine d’un geste sans réplique et auquel elle consentit à se soumettre… Le chauffeur leur jeta une couverture dont ils s’enveloppèrent… Une demi-heure plus tard, il ralentit un peu l’allure, se tourna, montra le signe devant lequel s’inclina Andréa, et le fixant de ses yeux ronds derrière ses lunettes d’auto, lui demanda :

— Où faut-il vous conduire ?

Ce fut Callista qui répondit en prononçant un mot ou plutôt un nom, celui d’une petite gare forestière qu’ils atteignirent sans autre incident, le soir même.

Là, les bohémiens descendirent et Callista remercia leur sauveur inconnu…

Celui-ci leur proposa de les conduire plus loin, mais ils déclinèrent son offre… Ils n’avaient plus rien à craindre… On ne pouvait imaginer qu’ils fussent déjà sur la frontière… Ils n’avaient point besoin de passeport pour traverser la Suisse… et ils prendraient le premier train aussi bien dans une demi-heure si leur sauveur inconnu leur donnait quelque argent…

— Voilà ce que l’on m’a chargé de vous remettre !… fit celui-ci en glissant dans la main de Callista quelques billets.

— Vous pouvez dire à qui vous a envoyé que nous ne courons plus aucun danger, dit Callista ; du reste, j’espère que nous nous reverrons bientôt !… Les fêtes approchent, ajouta-t-elle en le regardant assez mystérieusement.

— Bientôt, répliqua l’autre, à voix basse… à Sever-Turn !

Callista mit un doigt sur sa bouche… et entraîna Andréa vers la gare. Le chauffeur remonta dans sa voiture et disparut en vitesse au tournant de la route…

Une demi-heure plus tard, Andréa et Callista se casaient dans un compartiment de troisième classe… Callista restait enveloppée de son châle, cachant ainsi ses guenilles. Elle ferma les yeux et parut dormir…

Andréa ne cessa point de la regarder…