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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/105

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III. — Où les événements se déroulent comme l’avait prévu Rouletabille

Le départ de l’auberge se passa sans incidents dignes d’être notés. Si nous en exceptons les prisonniers, tout le monde paraissait gai, voilà tout : Rouletabille, les gendarmes et même les chevaux !… Ceux-ci, particulièrement, avaient un petit air guilleret qui n’était point pour déplaire à la Finette et à Cornouilles, lesquels avaient la prétention d’être des cavaliers de tout premier ordre.

— Elles paraissent un peu nerveuses, remarqua simplement la Finette en enfourchant sa bête. Tu leur auras donné bonne rationnée d’avoine, hé ! Cornouilles ?… Vous venez, monsieur Roulétabille ?

— Je m’aperçois que mon pneu est dégonflé, répondit le reporter… Allez devant… un bon coup de pompe et je vous aurai bientôt rejoints !…

Ils partirent donc. Les chevaux commençaient à avoir des mouvements bizarres.

— « C’est peut-être des chevaux vicieux, émit Cornouilles… Nous ne les connaissons pas, nous, ces bêtes-là !…

— Elles ont été si sages !… Qu’est-ce qui leur prend ? s’écria la Finette, presque désarçonné par une ruade brusque à laquelle il était loin de s’attendre.

— Eh là ! la sale bête ! grogna à son tour Cornouilles… est-ce qu’elle a bientôt fini ses galipettes ?…

Sa jument venait en effet de se cabrer à croire qu’elle avait décidé d’achever le voyage sur ses sabots de derrière.

— Fous-lui un bon coup sur le museau !… n’y a rien de tel quand ils se cabrent ! lui cria la Finette.

Mais sa bête se cabrait à son tour. Rageur, il se mit en devoir de lui administrer une raclée. Cornouilles, de son côté, criait :

— Je vais t’apprendre comment je m’appelle !

Les chevaux partirent alors à un train d’enfer et disparurent avec leurs cavaliers dans un tourbillon de poussière, tels ces groupes mythologiques, héros ou demi-dieux qui se cachent aux regards des vulgaires humains dans un nuage que Jupiter envoie à leur secours…

Hélas ! quand le nuage se fut dissipé et que le regard des humains put atteindre jusqu’à la Finette et Cornouilles, ce fut pour découvrir deux cavaliers démontés, désemparés, désespérés, se traînant moulus sur la route, poussant des cris inarticulés, tournant des regards éperdus tantôt vers le couchant au fond duquel avaient disparu leurs chevaux diaboliques et tantôt vers le