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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/113

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la vieille l’attendait sans que rien eût été concerté entre elles…

Dans cette affreuse aventure, Zina avait-elle été son bon ou son mauvais ange ? Un ange, cette méchante petite sorcière de vieille femme ? Tout de même, elle avait sauvé Odette ! Sans Zina, Odette serait morte sous les coups de Callista et de ce sauvage d’Andréa ! Qu’est-ce qu’elle avait bien pu leur dire ? Qu’est-ce qu’elle a bien pu leur montrer ? Qu’est-ce qu’ils avaient tous à regarder sous le voile qui couvrait ses épaules ?… Ils l’avaient appelée leur reine, leur petite reine ! Pourquoi ? qu’est-ce qu’elle avait à faire avec ces gens-là ? Elle était Odette de Lavardens et voilà maintenant qu’elle était reine dans une roulotte !

Tous ces bohémiens étaient sorciers !… cela, le monde entier le savait ! Elle était ensorcelée… Elle avait été ensorcelée par cette méchante petite vieille de sorcière au nez crochu quelle détestait et qui ne cessait de la serrer sur son cœur et sur ses loques avec des soupirs…

Elle la détestait, mais elle était anxieuse quand elle ne la sentait point rôder autour d’elle et quand lui manquait le refuge de ses bras tremblants et décharnés. Arrangez cela comme vous pourrez ! C’était ainsi. Quand Odette, silencieusement, pleurait, elle sentait à ses pieds un souffle chaud ; c’était Zina qui l’adorait ! Odette croyait maintenant aux contes de fées…

Tout à coup une sorte de tumulte lui fit ouvrir les yeux.

Alors elle se redressa d’un bond et courut se réfugier dans sa roulotte en poussant un cri de bête blessée…

Callista ! Callista, sa plus cruelle ennemie, et Andréa le sauvage étaient là !…

Ils venaient d’arriver dans le cercle des bohémiens éclairés par la flamme qui léchait les flancs d’un chaudron…

Et tous les entouraient avec des paroles de bienvenue et des gestes de joie, et ils parlaient tous à la fois.

Odette sentait et entendait sur son cœur battre sa frêle poitrine comme un marteau sur l’enclume. Elle s’accrochait des ongles aux parois de la baraque pour ne point s’effondrer, mais elle voulait voir !

Ah ! cette Callista ! cette Callista qui avait été aimée de son Jean, que Jean aimait peut-être encore !… Elle souleva le rideau de la petite lucarne… mais l’abaissa aussitôt avec un tel geste de rage qu’elle le déchira !…

L’autre la regardait… Enfin, elle avait ses yeux tournés vers la roulotte où Odette venait de s’enfermer… ses beaux grands yeux, car ils étaient magnifiques, ses yeux !… plus beaux que les siens, peut-être… Mais ils étaient méchants, mais il y a certainement des hommes qui aiment les yeux comme ça !… puisque Jean les avait aimés !

Jean avait embrassé ces yeux-là, comme il avait embrassé les siens !… Jean lui avait menti !… Elle n’aimait plus Jean !… Et elle, cette Callista, elle eût voulu la tuer ! la faire souffrir !… lui arracher les yeux !…

Elle poussa un cri en reculant d’horreur. Callista, suivie d’Andréa, se dirigeait vers la roulotte en riant…

Elle se rua sur la porte en appelant :

— Zina ! Zina !

Que faisait donc Zina ?…

Sans Zina elle était perdue… elle était morte !…