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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/114

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Et ce n’était pas cet Olajaï, ce mystérieux Olajaï qui ne cessait depuis le commencement du voyage de la regarder à la dérobée sans jamais lui adresser la parole, cet Olajaï dont tout le monde se méfiait ici, et dont la figure ne lui était pas tout à fait inconnue (où donc l’avait-elle vu autrefois, il y avait des mois, des années peut-être) ; non, assurément, ce n’était pas lui qui se jetterait, pour la sauver, entre cette Callista et la prisonnière, comme avait fait Zina, car il était inquiet, timide semblant avoir peur de tout, même de la regarder de loin à la dérobée, avec pitié !…

— Zina ! gémit encore Odette derrière sa porte…

Et, tout à coup, elle entendit la voix de Zina… Odette se précipita à la lucarne de la roulotte… Il y avait là comme une réunion de démons autour de Zina affolée… La flamme du foyer, devant eux, grandissait et agitait leurs ombres fantastiques sur l’écran épais de la forêt, et de cette forêt (sous le couvert de laquelle on apercevait d’autres feux éclairant d’autres roulottes), d’autres ombres accouraient.

La silhouette immense des bras décharnés de Zina semblait appeler tous les cigains du camp pour leur montrer un point de l’horizon menaçant du côté de l’auberge… Maintenant, ils parlaient tous à la fois et Sumbalo, le chef de la tribu, avait la plus grande peine à se faire entendre. Odette ne comprenait point ce qu’ils se disaient dans leur langage odieux, déchirant comme une musique de cuivre, mais leur émoi, à tous, attestait un danger pressant. Oliva en tremblait sur ses vieilles guiboles ; Ari tendait vers le ciel des mains qui semblaient supplier la divinité, et Suco, le forgeron, fermait des poings prêts à frapper.

Quant à Andréa et à Callista, ils se regardaient en écoutant la vieille. Ils fronçaient terriblement les sourcils et une même pensée semblait les habiter tous les deux.

Nul ne faisait plus attention à Olajaï qui, dissimulé derrière un arbre, ne perdait pas un mot de ce qui se disait. Callista aperçut soudain sa figure sournoise qu’un reflet brusque de la flamme fit surgir des ténèbres. Il fit un mouvement comme pour se dérober, mais elle avait déjà sauté sur lui, le recommandait à Andréa qui le faisait dare-dare rentrer dans le cercle des bohémiens, puis, après avoir jeté à la foule des compagnons quelques paroles brèves, elle s’enfonça dans la nuit, du côté de l’auberge…