Aller au contenu

Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous y êtes bien, pourquoi n’y serais-je pas ? fit Rouletabille en approchant un escabeau auprès de la table et en commandant une bouteille de vin du Rhin :

— Du Rudesheimer ! Ce que vous avez de meilleur !…

Et pendant que maître Otto était descendu à la cave, il dit à Hubert :

— Vous avez eu tort tout à l’heure de ne pas me serrer la main, monsieur de Lauriac ! car nous sommes une paire d’amis, ou tout au moins nous allons le devenir… Voulez-vous que je vous dise ce que ces bohémiens sont venus faire ici ?

— Inutile, répliqua Hubert d’une voix sourde et avec un regard hostile du côté du reporter, je le sais !…

— Et c’est sans doute pour cela que nous avons le plaisir de nous rencontrer ici ! reprit le journaliste avec son sourire le plus gracieux…

— Tout le plaisir est pour vous ! répliqua Hubert en grognant comme un ours.

Rouletabille éclata de rire :

— Il n’y a décidément pas moyen de vous prendre ni avec les mains, ni avec des pincettes ! ni de près, ni de loin !… Ah ! vous m’en voulez bien !…

— Vous m’avez fait prendre avec des menottes, lui jeta l’autre. Je ne l’oublie pas !

— Ça se voit !… Mais ces menottes-là, c’est moi qui les ai détachées, voilà ce que vous oubliez !… Monsieur de Lauriac, jouons franc jeu. Nous sommes ici tous les deux dans le même dessein ! Nous poursuivons le même but ! Vous, pour vous-même, moi, pour mon ami Jean ! Associons-nous, c’est ce que nous avons de mieux à faire… Tout d’abord, nous avons intérêt l’un et l’autre à arracher Odette des mains de ces brigands ! Voilà qui prime tout !… Nous causerons après !… Qu’en pensez-vous ?…

À ce moment, l’hôte réapparut avec sa bouteille, et dehors, son chien aboya.

— Je pense que c’est encore ces maudits bohémiens qui rôdent autour de mon clapier, fit-il.

Il se dirigea vers la fenêtre, l’ouvrit sur une nuit opaque, et redevenue soudain silencieuse :

— Laissez la fenêtre ouverte ! pria Rouletabille… on étouffe ici.

Le patron alluma une lanterne et dit :

— Excusez-moi, je vais faire un tour !

Quand il fut parti :

— Eh bien ? demanda Rouletabille.

— Eh bien ! répondit Hubert, j’ai réfléchi !… ça va…

Il avait surtout réfléchi qu’il ne pouvait faire autrement que d’accéder à la proposition du reporter ; sans doute étaient-ils aussi gênés l’un que l’autre de se rencontrer en cet endroit, où chacun d’eux avait bien espéré arriver tout seul, mais enfin, leur alliance momentanée aurait au moins cet avantage immédiat qu’ils pourraient se surveiller.

— Alors amis ? fit Rouletabille, en tendant à nouveau sa main…

— Amis ! Et l’autre la lui serra.

— Ah ça ! Comment vous trouvez-vous