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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/116

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ver. Il évitait de s’appuyer sur le pied gauche qui de nouveau lui faisait mal, et il s’aperçut avec effroi qu’à moins de marcher à cloche-pied, il ne pourrait aller tout de suite jusqu’au camp qu’il avait l’intention de surveiller de près…

À ce moment passa sous sa fenêtre le petit berger qui l’avait aidé à atteindre l’auberge. Il ouvrit sa fenêtre, l’appela et lui fit comprendre qu’il y aurait une bonne récompense pour lui s’il voulait être attentif à tous les mouvements que feraient les bohémiens et venir l’avertir dès qu’ils prendraient leurs dispositions pour se transporter ailleurs. À peu près tranquille de ce côté, il se massa le pied et commença de se le bander fortement…

C’est à ce moment que la porte de l’auberge retentit sous les coups frappés de l’extérieur…

Il se traîna encore à sa fenêtre et regarda… L’homme qui secouait l’huis était enveloppé d’un grand manteau et sa tête était cachée sous un feutre à larges bords. Rouletabille tressaillit. Un instinct sûr l’avertissait que cette arrivée nocturne de l’inconnu n’était point étrangère au drame qui l’avait lui-même transporté à New-Wachter. Il rassembla toutes ses forces et descendit. Du reste, depuis que son pied était bandé, il pouvait s’appuyer dessus et la douleur était supportable. D’autre part, le baume dont la vieille sorcière l’avait frotté commençait à produire son effet ; son épaule allait de mieux en mieux, et il pouvait déjà remuer le bras. Les sorcières ont du bon.

Il descendit et pénétra dans la salle de l’auberge au moment où le patron, une lampe à la main, après avoir parlementé avec celui qui frappait à l’extérieur, ouvrait la porte… Le visage du nouvel arrivant apparut en plein : c’était Hubert !

Stupéfait, Rouletabille recula dans l’ombre. Mais Otto avait refermé la porte après avoir posé la lampe sur la table. Hubert paraissait exténué. Il se laissa tomber sur une chaise, jeta son chapeau, et dit : « J’ai faim ! »

Dans un mauvais français mêlé de mauvais allemand on lui répondit qu’il arrivait tard et qu’on n’avait que des restes à lui donner. Il se jeta dessus et les dévora. Quand sa faim fut un peu apaisée, il dit :

— Il y a longtemps que vous avez tous ces bohémiens dans le pays ?…

— Depuis deux jours, répondit l’autre, et je voudrais les voir aux cinq cents diables ! Ils m’empêchent de dormir la nuit.

— Comment cela ?

— J’ai peur qu’ils me volent. Ces gens-là sont capables de tout ! Cependant, je dois reconnaître que jusqu’à ce jour tout ce qu’ils m’ont pris, ils me l’ont payé…

— Qu’est-ce qu’ils font ici ? demanda Hubert.

— Vous le leur demanderez ; ils ne sont pas bavards !…

— Je vais vous le dire, moi, ce qu’ils font ici ! fit une voix dans l’ombre.

Hubert tourna brusquement la tête du côté de la voix.

Alors Rouletabille s’avança, la main tendue :

— Bonjour, monsieur de Lauriac !…

Hubert se souleva, comme galvanisé :

— Vous !… Vous, ici !…