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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/122

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ré comme une bête traquée et à aller finalement se jeter dans les bras d’Andréa qui le guettait derrière un arbre…

Andréa l’étreignit comme s’il allait l’étouffer, le broya dans ses bras puissants et le ramena au camp plus mort que vif, loque humaine, à peine palpitante encore, qu’il jeta au milieu des cigains, en leur disant : « Je vous fais cadeau de celui-là !… Vous pouvez en faire ce que vous voulez !… c’est un traître !… s’il n’avait pas parlé, nous n’en serions pas là !… c’est lui la cause de tous nos malheurs. Si l’on vole un jour notre reine, c’est lui qui l’aura voulu !…

Il y eut une sorte de rugissement autour d’Olajaï qui se souleva, essaya de se remettre sur ses pieds, se dressant dans une épouvante sans nom.

Un coup de poignard dans le dos l’abattit, le fit rouler à terre.

Dans la roulotte où elle était encore, continuant d’observer dans une fièvre grandissante ce qui se passait, Odette poussa un cri d’horreur. Mais, dans le même instant, la porte de sa prison ambulante s’ouvrit et Andréa se précipita sur elle, l’enveloppa dans une couverture, l’emporta comme si elle n’eût pas pesé plus qu’une plume. Zina, avec des gestes de folle, courait derrière le cigain en silence… Callista suivait.

Quelques minutes plus tard, il se déroulait là, dans ce coin de forêt, autour d’un feu dont le fanatisme millénaire d’une race qui ne connaît point de limite à la vengeance avait ranimé les cendres… Il se déroulait là une scène qui aurait demandé pour être reproduite dans tout son relief d’étrange et de puissante horreur le burin d’un Goya…

Des êtres fantastiques, démons, larves ou monstres grouillaient autour des brasiers qui faisaient roussir de la chair humaine… Une odeur abominable, dont ces êtres échappés d’un autre monde semblaient s’enivrer, montait sous le couvert des bois.

La jeune Ari, aux beaux yeux clairs qui reflétaient ses quinze printemps, était étendue sur l’herbe, le menton dans ses mains dorées et souriait au supplice d’Olajaï !…

Celui-ci n’était point mort du coup qui l’avait frappé et il devait bien le regretter tandis qu’on lui grillait consciencieusement les pieds.

Pour ne point entendre ses vaines protestations, la vieille Oliva, en lui souriant de ses trois dents chancelantes, lui avait enfoncé un coin de son châle dans la bouche…

Sumbalo, assis sur une marche de la roulotte, présidait en silence à l’exécution, avec une gravité majestueuse que lui eût enviée le grand Inquisiteur…

Une douzaine de marmots sautaient autour de cette petite réjouissance privée, avec des bonds singuliers, comme de braves petits poux de la Route, qu’ils étaient…

Suco, le forgeron, tenait si fortement les chevilles du patient que celui-ci semblait y mettre de la complaisance.

Suco avait des mains de bronze qui ne craignaient point le feu… mais les pieds d’Olajaï, qui s’étaient attendris au service des roumis, fournissaient à la flamme toute la graisse désirée…

Ari se mit à chanter…