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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/123

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Les cimes des pins commençaient à sortir de la nuit comme de longs fantômes blêmes et l’horizon se barrait à l’orient d’une ligne verdâtre, sinistre, quand le petit pâtre que Rouletabille avait envoyé en observation accourut à l’auberge.

Il avait assisté de loin, accroché comme un écureuil à la branche d’un arbre, au supplice du bohémien, spectacle qui l’avait prodigieusement intéressé. C’était un brave petit cœur, tout près de la nature, bon pour les animaux qu’il chérissait comme s’ils étaient de sa famille, mais curieux comme ont l’est à cet âge.

Il ne s’était arraché à cette « distraction » exceptionnelle que lorsqu’un mouvement général de la bande, la précipitation avec laquelle on attelait les haridelles l’avaient averti que les cigains se disposaient à quitter New-Wachter et ses environs… Il craignit que la récompense promise ne lui échappât et il courut d’une traite à l’auberge.

Il n’était pas plus de trois heures et demie du matin… À cette époque de l’année, les nuits sont courtes… La porte de l’auberge était entr’ouverte et dans la cour il trouva Rouletabille en train de faire un prix à maître Otto pour pouvoir disposer pendant vingt-quatre heures des deux courageuses carnes qui depuis quinze ans lui servaient de bêtes à tout faire. Otto prétendait en avoir besoin ce jour-là et ne pouvoir les céder pour rien. Rouletabille proposa une somme qui mit tout le monde d’accord et sans plus attendre il sauta en selle.

Il avait fait appeler Hubert, qui procédait dans sa chambre à des soins de toilette. Quand celui-ci parut et qu’il vit la bête qui lui était destinée, il fit une curieuse grimace.

— Nous n’avons pas le choix ! lui jeta Rouletabille. En route ! Les bohémiens déguerpissent déjà !…

Le reporter avait absolument voulu des chevaux parce qu’il se jugeait encore trop peu ingambe pour se risquer à pied dans une pareille aventure, et puis il ne tenait pas non plus à ce que Hubert s’aperçût trop de son état d’infériorité.

Le petit pâtre trottait devant eux… Quand il fut à l’orée de la forêt, l’enfant indiqua d’un geste le chemin à suivre pour arriver par le plus court au campement des bohémiens, puis il réclama son dû et partit comme un lièvre…