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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/125

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ne peux laisser ici ce pauvre homme !…

— Adieu, Olajaï ! dit Rouletabille en jetant à Hubert un regard plein de méfiance et de menace…

Et il disparut sous bois.

Il jugeait le bohémien perdu, et au surplus, il n’était pas venu si loin pour sauver Olajaï, bien que celui-ci l’eût toujours fidèlement servi. Avant tout, il importait de ne pas perdre la piste d’Odette !… Le malheureux Olajaï était le premier sacrifié !… Il y aurait d’autres victimes… N’était-il pas lui-même désigné ?… Cette entreprise s’annonçait redoutable et cruelle… Il fallait se faire un cœur d’airain…

Resté auprès du bohémien, et sûr de ne pas être dérangé par Rouletabille, Hubert continua âprement de l’interroger. Dans la gourde de Rouletabille, il y avait de l’eau… dans celle d’Hubert, il y avait du feu… un alcool qui ranima singulièrement le supplicié !… Celui-ci ne pensait encore qu’à son maître… « Il a été si bon pour moi !… une fois, il y a des années, il m’a sauvé la vie… je lui donne la mienne !… mais qu’il prenne garde !… Je l’ai déjà averti en Camargue… Et j’ai averti aussi la Pieuvre quand elle est venue…

— Qui est-ce, la Pieuvre ? interrogea Hubert…

— Ah ! Vous ne savez pas ? Une amie de mon maître et de Callista !… Elle est venue aux Saintes-Maries… Elle voulait voir Callista… Je l’ai conduite partout où on avait vu Callista… Mais la Pieuvre m’avait promis en retour, d’emmener Rouletabille… loin d’Odette… loin d’Odette !… Ah ! si j’avais su, quand elle est venue à la maison… là-bas !… à Paris !…

— Qui ?…

— Odette !… Ils sont tous fous de cette Odette… Ah ! ça leur portera malheur !…

— Odette est allée à Paris ?…

— Oui !…

Chez Rouletabille ?…

— Oui !…

— Il y a longtemps ?…

— Non !… Vous êtes son ami, à lui !… Voyez-vous !… il faut qu’il l’oublie… C’est la reine annoncée par les Écritures !…

— Mais elle n’a pas le signe sur l’épaule ! fit entendre Hubert en dévorant le bohémien du regard.

— Si, fit l’autre… elle a le signe sur l’épaule… le signe de la couronne !…

Et il se souleva pour regarder Hubert, à son tour…

— C’est à cause d’elle que je meurs !… J’en ai trop dit !…

— Mais Mlle de Lavardens n’est pas une cigaine, protesta encore Hubert haletant…

— C’est une cigaine de pure race ; j’ai connu sa raya, sa mère, sa vraie mère… M. de Lavardens a vécu à Sever-Turn… Là, il s’est marié, à notre mode !… La raya est morte en mettant au monde une enfant qui a été nourrie par Zina !… Zina vous dira tout !… Zina sait tout !… Le père s’est enfui avec l’enfant, comme c’était écrit… Cette enfant, c’était Odette !…

Hubert se redressa d’un bond et se mit, à courir du côté de l’auberge, laissant le pauvre Olajaï agoniser tout seul… Heureusement pour lui, une charrette passait…