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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/124

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Quelques minutes plus tard, les deux cavaliers étaient arrêtés par des plaintes, des gémissements sourds…

Ils mirent pied à terre, attachèrent leurs bêtes et avancèrent sous bois, avec force précautions… Ainsi arrivèrent-ils sur les lieux du campement… les roulottes avaient déjà disparu, mais les cendres des feux étaient encore chaudes… Il n’y avait là âme qui vive… Cependant les plaintes qui, un moment, s’étaient tues, avaient repris de plus belle…

Rouletabille fit quelques pas dans un fourré, écarta des branches et appela Hubert… À eux deux, ils sortirent de là une pauvre créature qui perdait son sang par plusieurs blessures et qui était incapable de se soutenir…

Rouletabille poussa un cri :

— Olajaï !…

Et c’était un cri d’horreur, car il venait de découvrir l’état effroyable dans lequel on lui avait mis les pieds…

L’autre avait ouvert les yeux… Il reconnut son maître, lui adressa un triste sourire et entrouvrit les lèvres comme pour demander à boire… Rouletabille lui mit sa gourde entre les dents et le fit boire, tandis qu’Hubert lui soulevait la tête… Un ruisseau coulait près de là… Rouletabille envoya Hubert y tremper un linge et, soutenant à son tour le bohémien, il lui dit :

— C’est à cause de moi qu’ils t’ont frappé ?…

L’autre fit un signe de la tête…

Hubert revenait rapidement…

— Méfiez-vous ! souffla le cigain. Un jour, ils vous en feront autant !… Retournez là-bas !… Paris !

— Et Mlle de Lavardens ? interrogea anxieusement le reporter.

L’autre secoua la tête…

— C’est la petite reine !… Ils ne la rendront jamais !

À ce moment Hubert s’agenouillait près du blessé et s’apprêtait à lui laver ses blessures… Il entendit les derniers mots prononcés par le cigain et il tressaillit… Rouletabille s’aperçut de l’émoi d’Hubert…

— Écoute Olajaï ! fit-il, ne désespère pas ! Nous pourrons peut-être encore te sauver !… Nous allons t’envoyer immédiatement du secours, mais mon ami et moi il faut que nous rejoignions tout de suite les roulottes… Elles ont suivi cette route, n’est-ce pas ?…

Olajaï se souleva dans un effort suprême… Le feu de la vengeance brûlait dans ses derniers regards :

— Ils l’ont emportée d’un autre côté !…

— Qui, ils ?… Andréa ?… Callista ?…

–… et Zina !… Mais je puis vous dire… je puis vous dire… où… ils doivent tous… se rencontrer…

… Un moment il referma les yeux comme s’il allait expirer…

— Olajaï ! Olajaï !… s’écria Rouletabille… où ?… où doivent-ils se rencontrer ?

Le blessé laissa passer un nom, dans un souffle qui ressemblait déjà à un râle…

— À Temesvar-Pesth !…

— Partons ! cria Rouletabille à Hubert, Temesvar est trop près de Sever-Turn ! Et si Odette pénètre dans Sever-Turn, elle n’en sortira jamais… !

À la grande stupéfaction du reporter, Hubert lui répondit :

— Allez toujours, je vous rejoindrai, je