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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/130

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jourd’hui !… Les bohémiens n’ont qu’à bien se tenir. Allons ! messieurs ! il s’agit de sauver Odette ! Je vous jure que nous ne serons pas de trop pour la besogne !… Que l’on se serre la main et que rien n’existe plus pour le moment que le salut de Mlle de Lavardens !

— Soit ! fit Lauriac.

— Où en sommes-nous ? demanda Jean à Rouletabille… Odette ?

— Nous sommes bons !… Tout va bien ! Seulement, il faut que nous restions unis ! Notre entente est d’autant plus nécessaire que nous allons être obligés de nous séparer…

— Moi, je ne te quitte pas ! fit Jean…

— Alors, nous allons être obligés de prendre momentanément congé de M. de Lauriac qui voudra bien agréer la mission de passer la frontière derrière les bohémiens en ne cessant de les surveiller. De toute façon, nous nous retrouverons à Temesvar !…

— Pourrais-je savoir, demanda Hubert, inquiet et soupçonneux… pourrais-je savoir pour quelle raison nous allons justement nous séparer dans le moment où vous semblez avoir tout fait pour nous réunir ?

— Il faut que je fasse un petit détour jusqu’à Innsbruck ! laissa tomber Rouletabille en jetant un regard de coin à Hubert…

Celui-ci tressaillit :

— À Innsbruck !…

— Oui, je rencontrerai là le correspondant de notre journal qui était installé à Temesvar pendant la dernière guerre et qui pourra nous donner d’utiles renseignements et de précieuses recommandations !…

— Comme ça se trouve ! fit Hubert, moi aussi, il faut que je fasse un petit détour jusqu’à Innsbruck !… et pour la raison la plus sotte du monde… pour y chercher de l’argent !… Je dois y toucher un chèque…

— Si vous avez besoin d’argent, monsieur, commença Jean…

Mais l’autre l’interrompit net. Il le fixa avec des yeux où brûlait une haine qui ne s’éteindrait jamais.

— Gardez votre argent, monsieur !… Je ne veux rien vous devoir !

— Allons, allons ! fit Rouletabille… C’est entendu, nous prenons tous les trois le train demain matin pour Innsbruck, et n’en parlons plus !… Décidément, la confiance règne !… ajouta-t-il avec une bonne humeur pleine de sous-entendus…

» Maître Otto, servez-nous la soupe !… »

Pendant le souper, Hubert ne desserra pas les dents, tandis que Rouletabille racontait à Jean tout ce qui lui était arrivé depuis qu’il l’avait quitté et le mettait au courant des derniers événements et de sa poursuite dans la forêt. Jean, en l’écoutant, montrait une impatience fébrile. Il brusqua la fin du repas et les deux jeunes gens sortirent :

— Nous allons faire un tour avant d’aller nous reposer !

Hubert ne répondit même pas !

— Quel ours ! fit Rouletabille.

— Ce que je ne comprends pas, gronda Jean, dès qu’ils furent loin d’Hubert, c’est qu’étant maintenant aussi près d’Odette, tu la lâches pour aller à Innsbruck !…

— Ah ! tu ne vas pas recommencer !… D’abord, je ne lâche pas Odette, car je ne la tiens pas encore… mais je suis sûr de l’avoir à Temesvar, et c’est ce qui devrait te consoler ! Maintenant, je vais te dire pourquoi je vais à Innsbruck ! Il y a deux heures que je suis venu à New-Wachter… je suis parvenu à savoir tout ce qu’Hubert a fait en mon absence et j’ai soudoyé un agent de la poste qui m’a copié le double d’un télégramme qu’avait reçu notre excellent ami ; le voici… Alors Jean lut : « Ai vendu page romanée à Nathan, antiquaire, Innsbruck.Stevens… »

» Tu comprends ? fit Rouletabille…

— Ma foi, non !…