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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/131

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— Tu ne comprends pas que, même si nous n’y étions pas allés, Hubert se rendait à Innsbruck ?…

— Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi nous y allons, nous !… Quelle importance a une page romanée ?…

— C’est juste !… admit Rouletabille… mais je crois que le moment est venu que tu comprennes !… Jean, tu aimes bien Odette ?

— C’est toi qui me demandes cela ?…

— Eh bien ! Tu vas tout savoir !…

Et il lui apprit tout ! Quand il sut qu’elle n’était pas la fille de Mme de Lavardens, mais d’une cigaine, il n’eut qu’un mot : « La pauvre enfant ! » Rouletabille lui serra la main… Quand il n’ignora plus rien de l’importance de la tragédie qui se jouait en ce moment et qui devait avoir son dernier acte à Sever-Turn, il gémit :

— Je mourrai, mais ils ne l’auront pas !…

Du coup, il comprenait l’importance du Livre des Ancêtres et l’urgente nécessité de savoir ce qui intéressait si fort Hubert dans cette page romanée détenue par l’antiquaire d’Innsbruck…

Le lendemain, dans la capitale du Tyrol, tandis que Jean et Hubert se faisaient montrer leur chambre dans un hôtel, Rouletabille était déjà chez Nathan, dont la boutique se trouvait dans l’Alstadt (vieille ville)… « J’ai appris, monsieur, que vous possédiez un curieux document romané…

— Très curieux, monsieur et certainement un des plus anciens qui me soient passés par les mains !

L’antiquaire ne fit aucune difficulté pour le lui montrer.

— Combien en voulez-vous ? demanda Rouletabille en roulant déjà le précieux document…

— Hélas ! monsieur, il est déjà vendu ! Un amateur l’a retenu par télégramme !…

Rouletabille ne put s’empêcher de proférer un court blasphème, bien que ce ne fût pas son genre… mais il n’y avait rien à faire. À toutes ses offres, l’antiquaire ne répondit qu’en remettant le document dans son carton…

— Pourrais-je savoir, au moins, ce que signifient ces caractères ? lui demanda-t-il.

— Je ne sais pas lire le romané.

Le reporter, très déconfit, arrivait bientôt à l’hôtel où Jean l’attendait :

— Nous sommes refaits ! Où est Hubert ?

— Il m’a quitté il y a quelques minutes.

Et quand son ami lui eut conté sa visite chez l’antiquaire :

— Décidément, nous n’avons pas de chance ! fit-il…

Son admiration pour Rouletabille retombait à zéro.

Quelques instants plus tard, Hubert venait les rejoindre. Il avait un petit air satisfait qui en disait long. Comme il se dirigeait vers les deux jeunes gens, un chasseur lui remit une lettre. Il s’arrêta pour la lire. Elle était ainsi libellée :

« Méfiez-vous de Rouletabille, il joue un jeu que tout le monde ignore… Si vous voulez en savoir plus long, soyez ce soir à dix heures à l’entrée du parc des Roses. »

Ce n’était pas signé. Hubert mit la lettre dans sa poche.

— Toi, mon petit, gronda Rouletabille, qui avait une revanche à prendre sur Hubert toi, mon petit, je vais te surveiller !…

À l’heure fixée pour le mystérieux rendez-vous, Hubert se trouvait à l’entrée du parc des Roses. Une voiture fermée, qui marchait lentement, s’arrêta devant lui, le rideau de la portière fut baissé et une jeune femme, qui avait une légère voilette, apparut. Elle lui fit un signe. Elle lui ouvrit la portière et il monta, puis, la portière fut refermée, le rideau fut baissé et la voiture continua sa route.