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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/137

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disait Hubert… mais je ne vois pas ce qu’il y a pour vous, là-dedans !…

— Eh bien ! vous allez le savoir !… Au Livre des Ancêtres, il manque une page, une page qui fait suite à la prophétie… et cette page était aux mains de l’antiquaire chez lequel vous m’avez vu entrer tantôt !…

— Et chez lequel j’avais vu entrer auparavant Rouletabille.

— Parfaitement !… Cette page est maintenant en ma possession.

— Elle est magnifique !… dommage que vous l’ayez pliée ! fit observer Mme de Meyrens, qui était une artiste et qui savait apprécier les belles choses…

— Hélas ! Je ne puis pas la transporter dans un cadre !… Ce serait trop encombrant et peu discret !… mais telle quelle, elle fera son office !… et puis, pour plus de sûreté, cette nuit je la coudrai dans mon vêtement !…

— Mais qu’est-ce qu’elle dit, cette page ?… Vous connaissez le romané, vous ?

— Oui, et je vais vous le traduire…

Mme de Meyrens était allée tout à l’heure pousser le verrou de la porte, Hubert alla fermer les deux battants de la fenêtre qui donnait sur le balcon…

La salle était alors plongée dans l’obscurité, et la nouvelle élève de la Loïe Fuller, seule éclairée, dessinait des fleurs qui étaient aussi des flammes sous lesquelles courait la double tige de ses jambes nues emportées dans un voluptueux tourbillon.

Hubert revint auprès de Mme de Meyrens dans le moment que la lumière venait d’être faite à nouveau dans la salle et qu’un tonnerre de bravos secouait tout l’établissement. Et c’est dans ce tumulte qui faisait trembler les vitres qu’Hubert traduisit à l’oreille de Mme de Meyrens le texte romané arraché au Livre des Ancêtres…

Hubert pouvait être tranquille, Mme de Meyrens avait été seule à l’entendre.

Il pouvait être aussi satisfait de l’effet produit… « Je comprends, maintenant ! s’écria-t-elle rayonnante… Je comprends !… tous mes compliments, mon cher !… »

Hubert lui dit quelques mots encore à l’oreille… Elle hocha la tête en signe d’assentiment et il rentra son document…

Un quart d’heure plus tard, ils quittaient ce lieu de plaisir où ils avaient fait, l’un et l’autre, de si bonnes affaires. Mme de Meyrens demanda, soudain soucieuse :

— Mais comment Rouletabille a-t-il su que vous alliez vous rendre à Innsbruck, chez cet antiquaire ?

— Ma foi, je n’en sais rien !

— Mais lui, il sait toujours tout !…

— Oui ! c’est incroyable !

— Encore une fois, méfiez-vous !… Il sait que vous avez le document sur vous !… Sans en connaître le sens, puisqu’il a demandé à l’antiquaire de le lui traduire, il sait que cette page est d’une importance considérable pour vous !… Il fera tout pour vous la ravir !

— Je me l’incrusterai plutôt sous la peau !

À la porte du music-hall, la voiture qui les avait amenés attendait Mme de Meyrens. Elle prit congé d’Hubert, en lui disant tout haut :

On se retrouvera là-bas !

Ils se serrèrent la main et la voiture s’éloigna…

Hubert rentra à l’hôtel à pied, songeant à ce qui venait de se passer et trouvant qu’il n’avait pas perdu sa soirée… Il ne s’aperçut pas qu’une ombre le suivait…

Cette ombre, c’était Jean…