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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/181

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Jean écoutait son babil d’oiseau dans un enchantement divin qui lui faisait tout oublier… Cependant ces dernières paroles le rappelèrent à l’horreur de sa situation et il eut un triste sourire :

— Mon amour, lui dit-il, tu ne sais donc pas que lorsqu’on est entré dans l’un de ces cachots, on n’en sort jamais !

— Mais puisque je te fais roi !… s’écria-t-elle…

— Mon amour… mon amour… Zina ne t’a donc rien dit ?…

— Mais quoi ? quoi ? Non, elle ne m’a rien dit !… mais toi, dis-moi tout !… Il faut que je sache tout !… Je suis la reine !… J’ai le droit de tout savoir !

— Eh bien ! Ils m’ont enfermé dans la terre pour toujours !

— Ne dis pas cela !… ne dis pas cela !… c’est absurde !… Il n’y a que moi qui commande ici !… À quoi donc t’ont-ils condamné ?…

— Ils m’ont condamné à mourir…

Elle poussa un cri :

— Tais-toi… Tais-toi !… Tu es mon Jean. Tu es mon amour ! Ils ont pu te condamner quand je n’étais pas là !… mais maintenant que je suis là !… tout va changer !… Je n’ai qu’un mot à dire !… Si tu savais comme tout ce peuple m’adore !… Il se roule à mes pieds !… Il embrasse ma robe !… Il crie quand je passe : « Hosannah ! » Je n’ai qu’à lever un doigt !… Ah ! cet Hubert a eu une riche idée de m’amener ici… Tu vois, c’est la Providence qui l’a voulu !… Le bon Dieu est avec nous. C’était écrit, comme disent les vieux gagas, là-haut, dans la cathédrale !… C’était écrit que je te sauverais, mon Jean adoré !… Alors, ils t’ont condamné à mourir !… Eh bien, ce qu’ils vont être attrapés !… Et je vois la tête d’Hubert d’ici !… mais embrasse-moi donc et n’aie pas l’air si triste !… Est-ce que je suis triste, moi ? Ah ! dis-moi, par curiosité… à quel genre de mort ces messieurs t’ont-ils condamné ?…

Elle lui demandait cela en souriant avec tout son petit courage.

— Ils m’ont condamné à mourir de faim !…

— Horreur !… Ah ! mon chéri !… et moi qui bavarde et qui te fais des risettes… à mourir de faim !… alors tu n’as pas dîné, tu n’as pas déjeuné !… Mon Dieu !… depuis combien de temps es-tu ici ?… C’est affreux !… Et tu ne me le disais pas tout de suite !… Zina… Zina !…

Elle s’était ruée contre les barreaux, elle appelait la vieille, elle frappait du pied.

— Laisse donc Zina, lui dit Jean… Nous sommes si bien tout seuls !… et puis les minutes sont précieuses !… Je t’assure que je n’ai pas faim !…

— Zina !…

La vieille accourait, affolée, lui faisant signe de se taire…

— Cours chercher du pain, du lait !… Tout ce que tu trouveras !… des confitures !… Qu’est-ce que tu veux manger, mon chéri ?…

— Rien, mon amour !… Tu es là… Je n’ai pas faim !…

— Je te promets, dit la vieille, effrayée, à Odette, d’aller lui chercher quelque chose quand tu seras partie !… Mais il faut que je te reconduise d’abord chez toi !… Viens, viens vite, maintenant… Il est