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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/184

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miens voleurs, dont nous avons eu déjà l’occasion de nous entretenir, est bien connue, en effet, pour ses principes austères, son respect des traités et même de la parole donnée une fois pour toutes)… Foi de balogard !… J’imagine (et il lui dit ce qu’il imaginait, penché sur elle, la brûlant de son regard où s’allumait le feu noir du désir)… j’imagine que lorsqu’on a eu le bonheur de t’avoir dans ses bras, c’est une chose que l’on peut difficilement oublier !

Il avait dit ce qu’il fallait.

— Eh bien ! allons, Andréa !… ordonna-t-elle impatiente…

Mais l’autre était de plus en plus penché sur elle.

— Et moi, qu’aurai-je pour ma peine ?

— Que veux-tu ?

— T’embrasser !…

Il n’attendit pas sa permission… Elle se défendit vaguement, et comme il collait sauvagement sa bouche sur ses lèvres, elle le mordit. Il lui rendit sa morsure !… Ils ne crièrent ni l’un ni l’autre. Si elle avait eu une arme entre ses mains, elle lui en eût labouré le cœur… Quant à lui, il dit simplement, en essuyant sa lèvre sanglante : « J’ai eu ma part !… À toi maintenant de prendre la tienne !… Viens !… Le roumi n’aura que mes restes !… »

Et ils descendirent dans les caveaux.

C’étaient leurs pas que Zina avait entendus dans l’escalier… mais elle pensait qu’Andréa revenait seul… Elle lui avait diaboliquement inspiré cette idée de laisser Odette rejoindre Jean, un instant dans son cachot, comme une bonne vengeance à tirer de Callista qui n’avait pas cessé d’aimer Jean, comme un jeu cruel dont il pourrait s’amuser plus tard en racontant cette bonne histoire à la cigaine, une histoire à la dégoûter pour toujours des roumis… mais Zina n’avait pas imaginé une seconde qu’Andréa aurait l’audace d’aller chercher Callista pour qu’elle assistât à la scène… Elle se disait : « Pendant ce temps-là, Andréa fait la cour à Callista, et il doit bien rire en pensant au tour qu’il est en train de lui jouer !… »

La vieille fut épouvantée en apercevant Callista… Mais elle n’eut pas le temps de dire un mot, Andréa l’envoya rouler au plus loin, après lui avoir repris les clefs… et ils passèrent…

Une lueur mystérieuse, venue d’on ne sait où, glissait sur les murs lépreux et allongeait son rayon entre deux barreaux… Deux jeunes têtes derrière ces barreaux s’embrassaient éperdument… C’était une eau-forte à la manière noire, quelque chose d’extrêmement violent et aussi d’infiniment délicat… un baiser gravé par Reynolds… enfin c’était quelque chose surtout qui déplut à Callista.


IV. — Le premier et le second moyen du patriarche

La cigaine faillit se pâmer, car on se pâme de rage comme on se pâme de bonheur. Mais le premier moment de surprise passé, elle retrouva tout son ressort, et le sentiment qui l’animait la projeta en quelque sorte contre les barreaux qu’elle se mit à secouer avec démence…

Devant elle, il y avait l’épouvante des amoureux surpris, derrière elle il y avait le rire d’Andréa et les cris de Zina… Et finalement il y eut la galopade des gardiens accourus à tout ce tumulte.

Andréa s’empressa d’ouvrir la porte du cachot. Sans doute avait-il pensé que la fureur de Callista s’exercerait sur Jean ; c’était là l’erreur d’une psychologie sommaire, car la rage de la femme va toujours à la femme, dans le premier moment… Callista se rua sur Odette mais elle rencontra Jean qui s’interposait… Odette n’avait pas fui, bien au contraire !… Ses ongles griffèrent, labourèrent de sillons rouges le visage de Callista momentanément réduite à