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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/185

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l’impuissance par les poings de Jean qu’elle mordait !… Toute cette confusion ne cessa que par l’intervention des gardes qui firent sortir Odette en l’emportant malgré ses cris, ses ongles, ses ruades !…

La porte du cachot fut refermée sur Jean.

Callista s’était retournée, frémissante de vengeance sur Andréa qui lui désigna Zina comme la seule coupable de cette cruelle machination… On entendit bientôt Zina crier comme si on la découpait en morceaux (et peut-être la découpait-on en morceaux !). Odette pendant ce temps était enfermée dans son appartement et le patriarche prévenu…

Il ne se présenta devant elle qu’une heure plus tard, croyant sans doute la petite reine calmée. Il vint la voir avec Hubert.

Tous deux la trouvèrent accroupie dans un coin du divan comme une petite bête boudeuse et rageuse… Non loin de là, il y avait sur les tapis un grand désordre de vaisselle et de cristaux brisés… Les plateaux qui avaient porté les confitures à la rose et le borj à la smitan avaient roulé un peu partout.

Le patriarche considéra les effets de la colère royale d’un œil plutôt amusé, et c’est avec infiniment de respect qu’il demanda à sa souveraine, par le truchement d’Hubert, si elle n’avait pas faim.

— Si ! j’ai faim ! répondit Odette, mais je ne mangerai pas ! Je veux qu’on me laisse en paix !… Je veux mourir de faim, comme Jean !…

Et elle redressa un peu sa petite adorable frimousse au front têtu pour jeter encore à Hubert ces mots destinés à le renseigner définitivement sur l’état d’âme de sa fiancée :

— Et vous savez, je mourrai heureuse ! car j’ai vu Jean et je sais qu’il n’a pas cessé de m’aimer !… Et maintenant, allez-vous-en ! Va-t’en je te dis !… Va-t’en, je l’ordonne !… Je n’ai plus rien à vous dire, à toi et à tes patriarches !… Allons ! la porte ! Je veux qu’on m’obéisse ! Je suis la queyra !…

Hubert, assez désemparé, traduisit. Le patriarche avait déjà compris. Le ton et le geste ne lui avaient rien laissé à deviner. Il hocha la tête et prononça avec un grand calme :

— Tu vivras ! car il faut que les Écritures s’accomplissent !…

Là-dessus, il sortit, plein d’admiration pour sa petite reine…

— C’est une vraie gitane ! dit-il à Hubert quand ils furent seuls… Ah ! elle est bien de la race !… Elle fait plaisir à voir et à entendre !…

— J’éprouve à cela moins de plaisir que vous ! répliqua Hubert avec amertume, et vous me permettrez de m’étonner de votre enchantement, car enfin je ne vois pas dans tout cela comment les Écritures pourront…

— Je constate avec satisfaction, interrompit gravement le grand prêtre, que les Écritures vous préoccupent !… Eh bien, il y a deux moyens de ne pas faire mentir les Écritures ! Le premier moyen ne dépend que de vous !…

— Et quel est-il ?… demanda Hubert avec empressement bien compréhensible.

Le patriarche ne répondit pas, mais glissa dans la main d’Hubert la clef qui venait de fermer la chambre d’Odette…

Hubert s’inclina en rougissant, car c’était encore un primitif. Cependant il fit quelques pas vers l’appartement de la queyra… et puis il s’arrêta une seconde, se retourna vers le patriarche et lui fit observer :

— Vous ne m’avez pas dit le second moyen !

— Je vous le dirai, répondit le patriarche, si le premier ne réussit pas !…