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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/188

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qui n’était rien moins que respectueux.

— Calmez-vous ! insista doucement Féodor, car si le premier moyen n’a réussi qu’à vous mettre en cet état, qu’arrivera-t-il de vous quand vous serez au courant du second ?

— Je suis venu pour vous demander quel est ce second moyen ! gronda Hubert, et s’il ne dépend que de moi…

— Malheureusement pour vous, il ne dépend pas de vous, mon cher !…

Le grand prêtre, sur cette parole énigmatique, s’était levé et faisait un signe.

Un garde entra qui reconduisit Hubert, de plus en plus désemparé et singulièrement inquiet des dernières façons de son hôte.

Quand il entra dans l’appartement qui lui avait été réservé au palais même, la première personne qu’il y trouva fut Callista. Elle paraissait aussi agitée qu’il était abattu… Elle avait écarté son voile pour se faire reconnaître :

— Monsieur de Lauriac, lui dit-elle à voix basse et après s’être assurée que personne ne pouvait les entendre… vous savez qui je suis… Vous aimez Odette… je la hais !… Mais je ferai pour vous par haine ce que vous désirez, vous, par amour !… Je veux votre mariage avec Odette… Il ne faut rien me cacher de ce qui vient de se passer entre vous et le patriarche !… Que vous a-t-il dit ?

Hubert considéra une seconde Callista… C’était encore une associée, celle-là !… Ce que la Pieuvre avait promis de faire à cause de Rouletabille, celle-ci le lui proposait à cause de Jean… Mais, en fin de compte, ni l’une ni l’autre ne lui servaient de rien !… Il n’avait plus entendu parler de Mme de Meyrens… et que pouvait pour lui Callista ?

Il haussa les épaules et eut le courage de se railler lui-même :

— Tout le monde veut mon mariage avec Odette, fit-il, mais le malheur est qu’Odette ne veut pas se marier avec moi !… À cela, ni vous, ni moi, ni les Écritures ne peuvent rien…

— Et le patriarche ?… que vous a dit le patriarche ? répéta-t-elle avec impatience.

— Le patriarche ? Il avait, paraît-il, deux moyens de réaliser la prophétie des Écritures.

— Eh bien ?

— Eh bien, il a mis à ma disposition le premier, mais il n’a pas réussi… avoua-t-il avec un ricanement sinistre.

— Et le second ? Vous a-t-il parlé du second ?…

— Il m’a dit que ça ne me regardait pas !…

— Eh bien, je suis venue, moi, pour vous en entretenir… mais auparavant j’avais besoin de savoir…

— Sachez qu’Odette est prête à se tuer plutôt que de me céder !… Voilà où j’en suis… Je vous écoute…

— Apprenez donc qu’avant de vous ouvrir la chambre d’Odette les vieillards ont tenu un conseil dans lequel il a été décidé de donner à la queyra l’époux annoncé par le Livre des Ancêtres !… Si cet époux ne peut être M. Hubert de Lauriac, eh bien, ce sera un autre !… voilà tout !…

Hubert se redressa et d’un geste sauvage saisit la main de Callista :

— Un autre ?… Quel autre ?…

— Eh bien ! l’autre ! celui qu’elle aime !

— Jean !…

— Oui, Jean !… puisqu’elle n’en veut pas d’autre !

— Mais c’est impossible, râla Hubert !… Ah ! çà ! seriez-vous venue ici pour vous moquer de moi ! Prenez garde !…

— Rien ne leur est impossible ! si Jean consent à vivre avec Odette, ici, en « prince consort »… On s’arrangera pour qu’Odette s’échappe et qu’il ramène Odette, lui aussi !… C’est aussi simple que cela !… Vous comprenez qu’il n’hésitera pas entre Odette et la mort !

Hubert broyait la main de cette femme :

— Callista ! Callista !… Vous n’êtes pas venue m’annoncer une chose pareille sans avoir votre idée… votre plan !…

— Mon plan ? Il est aussi simple que le leur… laissa-t-elle tomber froidement… Il faut que Jean soit mort demain matin !…