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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/191

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trait qui avait été jusqu’alors mon refuge, de revenir le trouver le plus tôt que je pourrais, de lui rendre sa dalmatique, à laquelle il semblait tenir beaucoup, et de ne raconter cette aventure à personne si la suite des événements permettait de ne la point ébruiter.

» Quand je lui eus accordé tout cela, il m’en récompensa en me procurant, outre la clef de la grille, quelques renseignements fort utiles pour me guider dans ce dédale… Au revoir et merci ! »

(Ici un blanc sur le carnet, puis ces notes) :

« … Passé partout sans encombre… grosse agitation dans le palais… L’installation de la queyra a mis tout en l’air… Je profite de ce désordre pour me faufiler dans les appartements… Arrivé dans un moment où Callista massacrait Zina… Elle l’a laissée là, aux abords du gynécée, quasi morte… Pourvu qu’elle ne l’ait pas tuée tout à fait !… Non ! elle respire encore… Je la soulève, je la dorlote… Elle ouvre les yeux et je me fais reconnaître :

» — À chacun son tour de soigner l’autre ! Rappelez-vous New-Wachter !…

» Tout en pansant sommairement ses plaies, j’ai avec la vieille une conversation des plus intéressantes. Elle m’apprend ce qui vient de se passer dans le cachot des condamnés à mort !… Pauvre Jean !… Mais comme toujours, Odette d’abord !… Et la vieille, que je soutenais, m’a conduit en se traînant, jusque dans l’appartement de la queyra, par le chemin de la domesticité… J’ai vu Odette !… »

(Ici quelques lignes qui ont été biffées avec soin, comme il est arrivé plusieurs fois quand le reporter avait spontanément confié à son carnet ses impressions sur Mlle de Lavardens.)

« … Je laisse Odette avec Zina… malgré ses supplications… car voilà que Zina lui a fait peur à nouveau… Au fait, la vieille échevelée, ensanglantée, avec ses yeux de folle qui commence à hypnotiser Odette, est effrayante à voir… je voulais rester… mais c’est elle qui m’a chassé : « Va-t’en !… Va-t’en !… j’ai besoin d’être toute seule avec elle ! Et je me suis enfui pour ne plus entendre le soupir d’angoisse, le halètement étrange de la pauvre enfant, aussi incapable de résister au regard de Zina que la palombe à l’œil rond et fixe de l’épervier !… »

(Un blanc… quelques lignes plus loin)…

« Cette Callista ! je l’ai encore entrevue entre deux portes, comme elle sortait d’un conciliabule avec Hubert qui semble avoir élu domicile ici. Ils furent rejoints par une vieille à la manière de Zina qui embrassa les pieds et les mains de Callista en lui bredouillant des syllabes rauques qui sortaient de sa bouche édentée comme un chant de crapaud… « Vous pouvez être tranquille, a dit Callista à Hubert… Celle-ci va au-devant de nos désirs… si elle pouvait faire mourir le roumi deux fois !… »

» Décidément, il faut que je m’occupe de Jean tout de suite… Oui ! il nous faut gagner, coûte que coûte, quelques heures !… »

(Un blanc et puis) :

« Pas perdu ma nuit !… ai tout risqué pour pouvoir dire deux mots à Jean à travers la grille des condamnés à mort… deux mots utiles…

» Au matin, ai vu arriver le petit chasseur de l’Hôtel des Balkans porteur d’un pli pour Hubert… Attention !… attention à la Pieuvre !… »