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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/199

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qu’Odette se prêtât de bonne volonté à la réalisation de ce plan machiavélique.

— Il s’agit de la décider, dit-elle à Hubert… Je compte sur toi pour cela, bien qu’elle ne semble pas te porter dans son cœur, mais je vais te donner quelques conseils qui t’aideront dans cette circonstance difficile…

Elle accompagna ces conseils d’une petite boîte que le noble vieillard chargé de l’économat du palais lui avait passée la veille pour la distraire. Ainsi lesté, Hubert, suivi de Callista, se dirigea vers les appartements de la queyra… Cette fois, il allait aborder Odette avec moins d’embarras que la première et, pensait-il, avec plus de chance de réussir.

Callista lui fit ouvrir les portes, se glissa sur ses pas et s’arrangea pour assister derrière un moucharabié à l’intéressante conversation.

En voyant revenir Hubert, Odette appela une femme et commanda qu’on le chassât ; mais il expliqua, dans un langage que les autres ne comprenaient pas, qu’il s’agissait de sauver Jean des pires supplices et qu’il était absolument nécessaire qu’elle lui accordât un moment d’entretien.

Comme elle hésitait encore, il lui montra la lettre qu’elle avait écrite elle-même à Jean et qu’on avait trouvée sur celui-ci.

Alors elle consentit à ce qu’il s’approcha d’elle, mais elle ordonna à ses femmes de se tenir prêtes à accourir à son premier appel.

— Vous me traitez mal, Odette, et vous avez tort !… Je vais vous prouver une fois de plus que je suis votre véritable ami ! Il n’a tenu qu’à moi que Jean, à cette heure ne soit pas empoisonné. Le pire, Odette, c’est qu’il l’eût été par votre faute !

— Par ma faute ! s’écria-t-elle.

— Oui ! il refusait toute nourriture que Callista et moi essayions de lui faire passer, en cachette ; Callista, parce qu’elle ne peut pas avoir oublié tout à fait que Jean a été bon pour elle, moi, parce que je sais bien que vous ne m’auriez jamais pardonné la mort de Jean, enfin parce que je ne suis pas un monstre !…

— Et il a refusé de manger !…

— Oui !… et bien lui en a pris, car Andréa, lui, avait décidé de se débarrasser au plus tôt de Jean pour lequel il a une haine farouche… et il lui a fait passer un pain empoisonné que Jean a refusé comme les autres… C’est alors que l’on est venu vous trouver et que l’on vous a fait écrire la lettre que voici… lettre qui a décidé Jean à manger de ce pain empoisonné.

Odette poussa un cri terrible, auquel toutes les femmes accoururent. Mais Hubert la rassura vite… Il était arrivé à temps pour sauver Jean, qui avait à peine touché au pain… Il lui avait repris son pain et la lettre…

Or, la lettre avait été lue dans le conseil des vieillards et remise à Hubert par le patriarche, parce que la correspondance de la femme appartient à l’époux…

— Vous savez bien que je ne vous épouserai jamais !… lui jeta Odette qui écoutait tout ce discours en proie à mille tourments, car elle se demandait à quoi Hubert voulait en venir…