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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/200

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— Que ces femmes s’éloignent ! fit Hubert, sans s’émouvoir de cette énergique protestation… Elles nous gênent !… Sachez, Odette, qu’en même temps que le conseil des vieillards m’a fait remettre cette lettre, il m’a fait cadeau, à votre intention, d’une petite boîte que je voudrais vous montrer…

Odette fit un signe et les jeunes gens furent seuls de nouveau. Alors, Hubert sortit la boîte de sous son vêtement…

— Placez-vous à contre-jour, dit-il à Odette, et regardez dans cette petite boîte… je n’ai jamais rien vu d’aussi curieux.

Ce disant, il tenait la boîte à la hauteur du visage d’Odette qui finit par mettre son œil à l’oculaire et qui la repoussa aussitôt avec un sourd gémissement…

— C’est épouvantable, fit-elle… Pourquoi me montrez-vous cela ?…

— Vous n’avez encore rien vu, poursuivit-il… et il est cependant nécessaire que vous voyiez encore !… C’est la volonté du conseil qui m’a chargé de vous faire connaître certaine décision qui ne vous apparaîtra que si vous regardez encore dans la petite boîte.

— Partez ! fit-elle à voix basse. Ne croyez-vous point que votre seule présence me fait horreur… et qu’il était tout à fait inutile de me faire voir cela !…

— Tout à fait utile, au contraire !… Je vous dis qu’il y va de la vie de Jean… Cette boîte est pleine d’un précieux enseignement qui peut décider de son sort…

— Je ne vous comprends pas… expliquez-vous !…

— L’explication est là en toutes lettres. Tenez, regardez encore une fois !… une seule !… et vous n’aurez plus rien à apprendre !…

Et il lui présenta encore la boîte… et elle eut encore le courage de regarder !…

Cette fois, elle n’eut pas la force de crier… elle recula, les lèvres tremblantes, les yeux fous… les mains en avant, comme pour écarter d’elle une vision atroce…

Et c’était atroce, en effet ; cette boîte était une sorte de stéréoscope dans laquelle on avait placé des photos qu’un petit appareil faisait tourner et qui présentait ainsi les différentes phases du plus affreux des supplices… Ces images avaient été rapportées de Chine par un cigain qui les avait prises lui-même au moment où le bourreau, avec une science inégalable, décortiquait les membres, soulevait les chairs, mettait à nu les os, puis, ne laissait plus qu’un tronc encore vivant, enfin continuait son œuvre jusqu’au moment où la victime, dont on ne perdait pas une grimace de souffrance, finissait son martyre dans un dernier souffle.

— Vous connaissez le fanatisme des cigains, expliqua Hubert… Ce n’est pas à une fille de la Camargue qui a vécu dans l’ombre de sainte Sarah que j’apprendrai ce dont ils sont capables dès que leur « religion » est en jeu !… Or, il faut que les Écritures s’accomplissent !… Vous venez de voir le supplice auquel le conseil des vieillards a condamné Jean si vous ne consentez pas à m’épouser ! D’autre part, si je vous épouse, j’ai obtenu qu’il soit rendu à la vie, à la liberté !… Maintenant à vous de choisir, Odette !…