Aller au contenu

Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Odette se laissait parfumer, revêtir du lourd costume traditionnel de la queyra, qui se composait d’une sorte de surcot roide comme une armure, gaine serrant étroitement la taille légèrement décolletée, et garnie de cabochons, de pierres précieuses que l’on retrouvait à profusion sur la « cotte-hardie », robe de soie, en mi-partie de couleurs différentes, entrouverte sur un pantalon oriental qui tombait jusqu’à la cheville, jusqu’aux sandales qui semblaient creusées dans deux bijoux où l’on aurait glissé un pied délicat.

Puis l’on attacha à ses épaules le manteau de cour blasonné aux armoiries de Sever-Turn par des fils d’or et d’argent.

Odette laissait faire aux femmes, docile à leurs mains expertes, sans protestation contre leurs exigences, tout à fait étrangère à ce qui se passait autour d’elle. Elles eussent paré une morte pour des funérailles royales qu’elles n’auraient pas eu affaire à une petite princesse plus inerte… C’est que c’étaient bien des funérailles que l’on préparait à la pauvre Odette, celles de ses jeunes amours, celles du bonheur un instant entrevu…

Et puis, réellement, n’allait-elle pas mourir ? Jean sauvé, elle n’avait plus qu’à disparaître de ce monde odieux qui n’avait eu d’abord pour elle que des sourires et qui la broyait dans l’étau monstrueux du plus farouche fanatisme ! Avoir connu le printemps de la Provence, s’être promenée au bras de Jean dans l’enchantement des matins clairs de la Camargue, avoir entendu une voix amie lui dire dans le doux parler de là-bas : « Arbres fleuris, jolies allées, gais pêchers, blancs pruniers, allons ! pour lui faire honneur, faites pleurer au plus vite, sur l’angélique fillette, ô flocons, votre neige précoce !… Riez fleurs des ruisseaux, fleurs des prairies, et répandez votre encens là où elle va passer ! »

Oui, elle était passée par là, et maintenant où était-elle arrivée ? Dans ce gouffre noir de Sever-Turn, où des figures de démons s’agitent pour lui préparer ces noces maudites !… Mais, tous ils seront bien attrapés ! Au moment où ils la croiront bien à elle, la queyra… elle s’envolera comme un petit oiseau.

« Puisque sur la terre on ne peut être amoureux sans avoir peur, — allons-nous-en dans les étoiles, — tu auras la lumière pour dentelles – tu auras les nuées pour rideaux !… »

Et ce sera là la vraie couche nuptiale, celle où l’on s’endort heureuse et pâmée pour toujours, petite fille des Camargues !…

Debout ! c’est l’heure ! Le bronze des