Aller au contenu

Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il la regardait, plein d’une sinistre angoisse. Il ne comprenait point, ce n’était pas elle qu’il attendait… D’elle était venu tout le mal ! Il se méfiait. Elle ne pouvait apporter avec elle que quelque nouvelle perfidie… Il finit par lui demander :

— Pourquoi es-tu ici ?…

— Pour te délivrer !…

— Je ne te crois pas !…

— Suis-moi et tu verras !…

— Où vas-tu me conduire ?…

— Où tu voudras !… à la liberté !… viens ! tu n’as rien à craindre !… J’ai obtenu ton pardon du grand conseil… À ma voix, les vieillards se sont laissé apitoyer. J’ai dit combien tu avais été bon pour moi et j’ai ajouté que tu avais assez souffert !… J’ai promis que tu quitterais Sever-Turn pour n’y plus revenir !… Et voici l’ordre de la liberté !…

Cet ordre, elle le lui tendit… Il le lut à la lueur d’un falot qui brûlait en face, de l’autre côté de la grille… C’était donc vrai ! Il était libre !… Il dit :

— Mais je ne quitterai Sever-Turn qu’avec Odette !…

— N’espère plus cela ! Et si tu m’en crois, ne pense plus à Odette… elle ne pense plus à toi !…

— Je ne te crois pas !… mais je te retrouve !… Je savais bien que tu ne pouvais venir près de moi que pour me faire souffrir !… Du reste, tes paroles sont vaines !… je ne sais pourquoi je t’écoute !… je suis libre !… Eh bien, adieu !…

— Adieu Jean !…

Il fit un pas pour sortir… c’est elle qui restait maintenant dans le cachot… Il se retourna : « Tout de même, fit-il, si c’est à ton intention que je dois de revoir la lumière du jour, tu as racheté bien des choses et je te pardonne, Callista !…

— Pardonne-moi, car tout ce que j’ai fait, je ne l’ai fait que par amour pour toi !… Quoi que tu fasses et quoi que tu apprennes, souviens-toi que tu n’as pas d’esclave plus soumise que moi !…

— Ni plus menteuse !… Pourquoi m’as-tu dit qu’Odette ne pense plus à moi !… Tu es folle ?…

— Je ne suis pas folle !… Va !… sur ton chemin chacun pourra te renseigner aussi bien que moi !…

— Explique-toi !… Tu me caches encore quelque chose !…

— Je ne te cache rien, mais je ne tiens pas à t’expliquer quelque chose qui te fera sans doute encore souffrir !… Alors tu te retournerais encore contre moi !… J’en ai assez de ta parole irritée !…

Il sortit… Il n’y avait personne dans le corridor… Il ne savait où diriger ses pas… Il se retourna encore vers Callista qui sortait elle aussi du cachot et en repoussait la grille…

— Laisse-moi te conduire, fit-elle. Il vaut mieux que tu sortes d’ici sans être aperçu de la garde du palais à laquelle il faudrait fournir des explications. Je connais un chemin souterrain qui te conduira directement dans le temple… Là, nul ne fera attention à toi, car c’est grande cérémonie et tu pourras gagner ainsi le quartier européen…

— Il y a beaucoup de monde dans le temple ?

— Une foule énorme ; songe donc !… c’est aujourd’hui le mariage de la queyra !

— Quelle queyra ? s’écria Jean d’une voix rauque…

— Mais je n’en connais pas deux, mon cher !… Aujourd’hui, Odette se marie !